
Q Pourquoi les «sorties du placard» ne concernent-elles pas des athlètes de sport professionnel très populaires comme le hockey ou le football?
R Les grosses équipes de sport professionnel veulent inspirer la crainte à leurs adversaires, elles veulent qu’on les respecte. De la même façon que les entraîneurs de hockey parlent de façon très vague des blessures des joueurs lorsqu’ils évoquent le haut du corps ou le bas du corps, les propriétaires d’équipes considèrent qu’il ne faut pas se montrer vulnérable face aux adversaires. Ils pensent, à tort selon moi, que le fait d’avoir au sein de l’équipe un joueur ouvertement homosexuel constitue une faiblesse, car ce dernier peut être harcelé sur le terrain par l’autre équipe et leurs partisans. Dans leur esprit, l’équipe tire sa force de son unité. En plus, même si le Québec montre une ouverture d’esprit assez exceptionnelle par rapport à l’homosexualité, la situation peut être différente lorsque l’équipe joue dans le reste du Canada ou aux États-Unis. Certains joueurs peuvent craindre d’être stigmatisés s’ils jouent dans la même équipe qu’un homosexuel déclaré. Enfin, les clubs de sport professionnel tirent beaucoup de revenus de la vente de chandails ou d’affiches. Ils auraient peur de perdre de l’argent si les parents refusaient que leur jeune affiche dans sa chambre le poster d’un joueur homosexuel…
Q Certains joueurs, comme David Testo, brisent pourtant cette loi du silence…
R Cela reste des cas très isolés. La plupart du temps, les joueurs qui parlent ont déjà mis fin à leur carrière. Il me semble que le tout premier cas au football remonte à une trentaine d’années avec le coming out de David Kopay. Sa carrière a été finie, et il a dû gagner sa vie comme vendeur de tapis… Le sport est en retard par rapport au reste de la société. En 40 ans, on est passé au Canada de l’homosexualité considérée comme un crime par le législateur, au mariage gai et à l’adoption par des parents de même sexe. Certains responsables sportifs, comme le directeur des Maple Leafs de Toronto, se montrent aussi très ouverts et condamnent ouvertement l’homophobie. Reste qu’il n’y a pas d’exemples de joueurs faisant partie de grosses équipes qui ont déclaré leur homosexualité et à qui cela n’a pas nui. Alors qu’on peut citer des noms de politiciens et d’artistes ouvertement homosexuels, et pourtant très populaires, le sport professionnel semble constituer un des derniers lieux de la société où l’homophobie et le sexisme sont encore tolérés.
Q Dans ces conditions, comment faire évoluer le sport professionnel?
R Je pense que c’est le public qui va permettre au changement de se faire. De la même façon que les spectateurs acceptent de moins en moins la violence et la bagarre au hockey, je crois qu’ils vont contribuer à ce que les équipes sportives reflètent la diversité de la société. Cela a pris du temps de voir des Noirs sur la patinoire. J’ai été agréablement surpris des réactions des internautes à la suite des déclarations de David Testo, même si certaines personnes ont écrit des horreurs sur certains blogues et sur certains sites. Beaucoup de gens ont exprimé leur soutien à ce joueur, qu’il s’agisse de parents ou de simples amateurs. Ce ne sont pas seulement les militants des droits des gais et des lesbiennes qui ont écrit. Il faut que les jeunes disposent de modèles dans toutes les sphères de la société, et pas seulement dans des métiers non traditionnels comme la mode ou le monde du spectacle.
Propos recueillis par Pascale Guéricolas