Q Quelle intention percevez-vous derrière cette annonce?
R Il est assez clair qu’à l’arrière-plan de cette décision de financement se profile la bataille pour le contrôle, par l’entreprise privée, de l’institution universitaire. Nous avons, avec ce petit symptôme, un bon exemple de la tendance, amorcée il y a une vingtaine d’années et maintenant en accélération, de couper dans le financement général aux universités et de redonner l’argent sous certaines conditions. La justification derrière consiste à dire que la recherche universitaire, par un virage utilitariste pour être davantage à l’écoute des besoins de l’entreprise, doit aider l’économie nationale à édifier une société du savoir. Le problème est que l’institution universitaire existe depuis environ 800 ans et qu’elle tend à se défendre contre ce genre de contrôle dans son histoire. Elle a toujours été un lieu de pensée et de recherche. L’université est utile quand elle est libre, quand elle produit des êtres libres et intelligents. Il devrait y avoir une mobilisation contre l’idée que l’université sera meilleure si on la contrôle mieux. La contrôler pour qu’elle donne de bons services consisterait à en faire un instrument de propagande.
Q Comment réagissez-vous au fait que les sommes accordées pourraient financer des projets de recherche dans d’autres disciplines des humanités, en autant que ces projets soient en lien avec le domaine des affaires?
R C’est une blague. Cet aspect rend encore plus fou l’objectif du gouvernement de cibler les affaires comme secteur de recherche. On nous offre de nous corrompre. Si votre recherche en études anciennes aborde notamment la question du commerce, est-ce que vous ne serez pas tenté, pour profiter de cette manne, de dévier de votre angle de recherche en accordant plus de place au commerce? Il semble bien qu’aux yeux du gouvernement conservateur les sciences de l’administration soient plus importantes, dans l’absolu, que les autres disciplines des humanités. Cette priorité accordée à la business peut fort bien amener des étudiants à réorienter leur sujet de recherche, d’une part pour pouvoir bénéficier d’un financement plus intéressant, d’autre part parce que leur propre discipline leur apparaîtra en quelque sorte dévaluée.
Q Le budget fédéral prévoit aussi des crédits supplémentaires de 35 M$ pour la recherche universitaire en santé et de 35 M$ pour la recherche universitaire dans les domaines techniques. Quel message ces investissements envoient-ils en regard de l’argent consenti aux humanités?
R Dans les années 1970 à l’Université Laval, les humanités, les techniques et la santé se partageaient à peu près également les sommes consacrées à la recherche. Aujourd’hui, la santé accapare 50 % du financement de la recherche, les techniques 40 % et les humanités 10 %. Or, les humanités, qui comprennent notamment l’architecture, le droit, l’éducation et la psychologie, sont le secteur qui connaît la croissance la plus rapide. Aujourd’hui, environ 70 % des diplômés de Laval proviennent des humanités. Logiquement, la plus grande partie du financement devrait leur revenir, mais c’est l’inverse qui se produit. Tous les diplômés universitaires forment l’armature de l’économie du savoir, les diplômés en humanités en particulier.