Q Qu’est-ce qui rapproche et différencie les mouvements conservateurs au Canada et aux États-Unis?
R Hors Québec, ces mouvements conservateurs canadiens et américains partagent un point de vue commun sur la responsabilité individuelle pour son destin, la notion de vie dès la conception, une opposition farouche à l’avortement. La matrice, c’est vraiment le protestantisme fondamentaliste. La différence fondamentale, c’est qu’ici il n’y a pas l’ampleur de mobilisation populiste qui existe aux États-Unis. L’idée qu’il existerait une menace d’un plan étatique d’assurance maladie, même si ce qui n’est pas du tout ce qui a été voté lundi, a structuré le mouvement. C’est nourri par l’idée qu’aux États-Unis, la santé constitue un bien individuel, et non un service public, une notion sous-jacente à la loi canadienne sur la santé. Au Canada, la capacité de mobilisation est plus faible, peut-être parce que les gens estiment qu’ils n’ont pas à combattre un gouvernement opposé à leurs idées. Avoir un président américain noir, urbain, qui a des idées étranges sur la couverture santé sert d’exutoire aux conservateurs américains.
Q Depuis l’élection de Barack Obama et la vague d’espoir qu’il a suscité, on avait pourtant l’impression que l’idéologie conservatrice était moins à la mode…
R C’est pourtant présent dans la politique américaine depuis 1980. Cela a porté Reagan et les deux Bush au pouvoir. Deux ans après son élection, Clinton a été confronté à la montée de la droite républicaine au Congrès. Il s’agit d’un courant politique mobilisé et organisé depuis trente ans. Au Canada, il existe des forces politiques très organisées, mais plutôt fragmentées régionalement, qui n’ont pas de bouc émissaire puisqu’ils sont au pouvoir à Ottawa. Les conservateurs protestants de l’Ouest sont différents des néoconservateurs nationalistes traditionnels du Québec, par exemple, ou de ceux des Maritimes. Ici, c’est une droite plus institutionnelle. Elle n’a pas eu besoin de mobiliser ses troupes.
Q Quel avenir a ce mouvement en Amérique du Nord?
R Pour l’instant, la droite conservatrice a davantage de membres qu’elle peut mobiliser en tout temps, beaucoup plus homogènes, que le mouvement qui a porté Obama au pouvoir. Dans la campagne de ce dernier, il y avait tout et son contraire, la libre entreprise et les droits sociaux. Chacun a projeté ses propres espoirs dans cette coalition. La capacité de maintenir la mobilisation était donc beaucoup plus fragile que celle de maintenir un mouvement populiste de droite organisé depuis trente ans. Au Canada, il y a une possibilité que les conservateurs parviennent à faire des dommages durables dans la politique canadienne. Pour l’instant, ce qui nous sauve, c’est leur statut minoritaire à la Chambre, bien que le système institutionnel laisse beaucoup de latitudes pour gouverner sans le gouvernement, par des nominations à la Cour suprême ou politiques. Certains enjeux autour de programmes sociaux ne concernent pas seulement les conservateurs. On les retrouve au Parti libéral, dans certains secteurs du NPD et du Bloc qui ont tendance à considérer que tout est une marchandise, et pour lesquels l’éducation et la santé sont des biens et non des services publics. Le système de protection sociale canadien a déjà été mis à mal par Mulroney, Chrétien et Martin. Ce consensus mou néolibéral risque davantage de transformer les politiques publiques que les discours ultraconservateurs, même si Harper a réussi le tour de force d’unifier les différentes familles conservatrices sur le plan politique institutionnel. Par contre, du côté idéologique, il n’y a pas ici l’équivalent des Tea Party. Si on donne du temps à Stephen Harper, il va peut-être y arriver…
Propos recueillis par Pascale Guéricolas