Comment expliquer ce succès des livres pour les jeunes ?
Aujourd’hui, le grand public connaît davantage la littérature jeunesse. Je pense que cela s’explique, en partie, par les efforts des éditeurs, qui investissent beaucoup dans la promotion de leurs titres et qui publicisent les prix que leurs livres reçoivent. Les auteurs et les illustrateurs jeunesse, qui visitent fréquemment les écoles grâce au programme La Culture à l’école du ministère de la Culture et des Communications, contribuent aussi à ce succès. Les commissions scolaires et les écoles jouent également un très grand rôle dans la promotion de la littérature jeunesse. Après tout, il s’agit des premiers acheteurs en importance pour les libraires, bien avant les familles. De plus en plus, les enseignants intègrent le livre dans les apprentissages à l’école ; ils ne le laissent plus uniquement dans le coin lecture. Les enseignants se servent du roman en littérature, bien sûr, mais également dans d’autres matières, comme l’histoire par exemple. C’est la même chose pour l’album illustré, qui peut aussi devenir un outil de référence en arts. Un blogue comme « J’enseigne avec la littérature jeunesse », animé par des finissantes en éducation de l’Université de Montréal, permet d’ailleurs de faire des liens pertinents entre le programme de l’école québécoise et les œuvres littéraires.
Les titres de la série Léa Olivier de Catherine Gérard-Audet et la huitième histoire d’Harry Potter figurent parmi les meilleurs vendeurs en littérature jeunesse en 2016. Quel rôle jouent les séries pour les jeunes lecteurs ?
Les séries créent un effet de mode, un effet d’entraînement. Les enfants les adoptent. Ces séries ont un rôle très important pour les lecteurs moins habiles, qui développent encore la technique du savoir-lire et les stratégies associées. Des séries comme Aurélie Laflamme ou Harry Potter peuvent intéresser des jeunes qui ne lisaient pas. L’avantage de la série, c’est qu’elle est prévisible, « confortable ». D’une œuvre à l’autre, l’enfant cerne bien le personnage principal, ses désirs, ses besoins, l’univers dans lequel il évolue. Le lecteur a donc un travail de moins à faire. Il peut rapidement plonger dans l’intrigue, et le personnage devient un ami. Selon moi, c’est très bien que les enfants acquièrent une « vitesse de croisière » en lecture grâce aux séries. Cependant, ils doivent aussi découvrir d’autres récits, d’autres cultures et surtout d’autres types d’écriture moins collés à leur réalité immédiate. En raison du succès des séries, les maisons d’édition ont d’ailleurs parfois du mal à faire connaître les autres œuvres de leur catalogue, pourtant très riches et fortes sur le plan littéraire.
Avez-vous l’impression que la littérature jeunesse devient plus attrayante que la littérature pour adultes ?
Visuellement, oui, c’est très clair. Depuis 10 ou 15 ans, l’album se taille une place de choix dans la littérature jeunesse. Pendant longtemps, ce type de livres semblait réservé aux tout-petits qui ne lisaient pas encore. Aujourd’hui, les albums s’adressent aux élèves de la fin du primaire, et même du début du secondaire. Certains illustrateurs, comme Stéphane Poulin, consacrent plusieurs mois, voire plusieurs années, à la confection d’albums fabuleux. C’est une littérature très innovatrice aussi. Plusieurs titres offrent des mélanges de genres étonnants, par exemple des albums qui se présentent comme des romans illustrés. Il y a quelques années, j’ai tenu un stand au Salon du livre de Québec qui proposait, avec « Sentiers littéraires », une sélection de titres. J’ai constaté que les adultes s’amusaient beaucoup à feuilleter nos livres, car leur variété les étonnait et les déstabilisait. Un créateur comme Thierry Dedieu, par exemple, peut nous parler de sujets très graves avec un dessin qui se résume à l’essentiel et une syntaxe très économe.