Le Nord au cœur, le nouveau documentaire de Serge Giguère, explore par petites touches la mémoire vivante de celui qui a conjugué toute sa vie science et humanisme.
Un camp de toile au bord de la rivière George, à 250 km au nord de Schefferville. Mushuau-nipi, lieu de rencontre des Naskapis et Innus pendant des siècles. Fort Chimo, aujourd’hui Kuujjuaq, dans les années 1960, lorsque seule une poignée d’Inuits l’habitait. Le fleuve et ses glaces près de Québec. Un petit village de la Mauricie où la famille du jeune Louis-Edmond lui a appris la détermination... Autant de points sur le parcours du géographe, autant de façons d’aborder la carrière du «globaliste nordique», comme il se qualifie lui-même.
Cette volonté d’appréhender le Nord dans toute sa complexité – géographique, humaine et faunique – se trouve à la base de la fondation du Centre d’études nordiques. Louis-Edmond Hamelin a d’abord présenté son projet à Maurice Duplessis, puis à René Lévesque, alors ministre des Ressources naturelles et du Nord sous Jean Lesage, qui est embarqué dans un petit coucou avec son guide géographe. «Lévesque, je l’ai twisté un peu pour le convaincre de m’aider à fonder le Centre d’études nordiques», rigole le jeune homme de 89 ans. Un peu perdu à Fort Chimo, René Lévesque se raccroche au dictionnaire inuit que les Oblats constituent à cette époque. Ce sera la première publication du CEN, sorti des limbes par un arrêté ministériel en août 1961.
Pour le directeur du Département de géographie (lui aussi fondé par Louis-Edmond Hamelin), cette anecdote résume bien le personnage. «Il sait que les institutions ne vivent pas toutes seules. Il a donc toujours accordé beaucoup d’importance aux relations humaines pour contribuer à les bâtir», témoigne Guy Mercier. Selon lui, le regard que le géographe a posé sa vie durant sur le Nord prend toute son actualité alors que gouvernement et industrie veulent développer ce territoire. Allié des Autochtones, Louis-Edmond Hamelin les a toujours inclus dans ses recherches, les considérant comme des acteurs de l’avenir de leur région.
«Le film est très inspirant pour nous, note Najat Bhiry, l’actuelle directrice du CEN, car cela nous incite à renforcer encore plus la collaboration sur le terrain avec les Inuit et les Cris.» Selon la professeure au Département de géographie, le Plan Nord doit pousser les chercheurs à mener leurs projets en étroite collaboration avec les communautés nordiques pour éviter les erreurs du passé.
En effet, les changements climatiques rendent ce coin de la planète particulièrement vulnérable à l’exploitation humaine. «Le CEN a contribué à la protection d’une portion de territoire où se trouvait une cascade incroyable, raconte le directeur scientifique de l’organisme, Warwick Vincent. Il faut faire très attention, car c’est dans le Nord que la température se réchauffe le plus rapidement.»
Conscients de la tendance actuelle à segmenter de plus en plus la recherche, les deux dirigeants du Centre d’études nordiques pourraient utiliser Le Nord au cœur pour sensibiliser leurs étudiants à la vocation globale de l’organisme et à sa position de messager entre le Québec du Sud et celui du Nord. Une projection du film y sera d’ailleurs bientôt organisée. «Je pense que le contexte politique, avec le Plan Nord, fait ressurgir la parole d’Hamelin, constate Guy Mercier. Il met en lumière le fait que le développement de cette région ne relève pas seulement des investisseurs. Ce territoire fait partie du Québec.»
À l’affiche dès le vendredi 30 novembre au Cinéma Cartier, à Québec, et dès le vendredi 7 décembre au Cinéma Excentris, à Montréal.