19 juin 2025
Trois questions sur l'origine et le sens des collations des grades
Selon la professeure Martine Roberge, les rituels contemporains qui célèbrent la fin d'un cycle d'études répondent au besoin de marquer collectivement les passages importants de l'existence

De tous les rituels associés à l'école, la collation des grades est la plus officielle des cérémonies en raison de son décorum. Les toges et épitoges associées aux collations des grades modernes sont un legs des cérémonies de remise de diplômes qui avaient lieu dans les premières universités européennes au 12e siècle. À l'Université Laval, les collations des grades se déroulaient au PEPS (notre photo) depuis 1992 avant d'être déplacées au Centre des congrès de Québec en 2021.
— Jean Rodier
Les collations des grades et les autres activités qui marquent la fin d'une étape dans le cheminement scolaire sont devenues des incontournables dans notre société. Martine Roberge, professeure au Département des sciences historiques de l'Université Laval et spécialiste de la ritualité contemporaine, explique pourquoi.
Y a-t-il toujours eu des cérémonies de collation des grades dans les universités?
Dès la création des premières universités, en Europe au 12e siècle, les professeurs ont honoré les étudiants qui avaient terminé leur formation en les conviant à une cérémonie officielle de remise de diplômes. Cette célébration se voulait une façon d'accueillir les nouveaux diplômés dans la communauté d'érudits à laquelle ils appartenaient désormais. Les toges, épitoges et toques associées aux collations des grades modernes sont un legs de cette époque.
De tous les rituels associés à l'école, la collation des grades est sans aucun doute la plus officielle des cérémonies. Recevoir son diplôme constitue l'agrégation définitive, la reconnaissance ultime des pairs. Ce rituel de sortie, de fin de cycle d'études, se fait en grande pompe avec décorum. Pour les uns, c'est un gage de passage vers un autre cycle d'études; pour les autres, il clôture la vie scolaire.
À l'Université Laval, la première collation des grades remonte au 2 juillet 1877. À cette époque, l'Université logeait dans le Quartier latin (Vieux-Québec), près du Petit Séminaire de Québec. On parle alors de distribution des prix et des diplômes. Les cérémonies étaient ponctuelles et éparses. Il faut attendre aux années 1940 avant que les autorités n'instituent la remise officielle et publique des diplômes.
En raison de l'importance qu'elles revêtent aux yeux des finissantes et des finissants, ces cérémonies, dont la popularité ne cesse de croître, ont dû se déplacer sur diverses scènes pour accueillir le nombre grandissant de personnes diplômées et les membres de leur famille. De l'amphithéâtre du Grand Séminaire (aujourd'hui, le pavillon Louis-Jacques-Casault), au Théâtre de la cité universitaire, au Grand Théâtre de Québec puis au PEPS, l'événement s'est enfin déplacé au Centre des congrès de Québec, où il accueille sur 4 jours les cérémonies de toutes les facultés. On peut expliquer la popularité de l'événement par un attachement à la tradition universitaire, qui témoigne du souci de l'Université d'honorer le parcours de ses membres dans sa mission première.
Quels sont les facteurs qui peuvent expliquer la popularité actuelle des collations des grades et celle des autres activités qui marquent la fin d'une étape dans le cheminement scolaire?
Ces cérémonies sont avant tout un symbole de réussite et de fierté. L'un des facteurs qui peuvent expliquer leur popularité est que ces rites contemporains sont des occasions de célébration et qu'ils sont personnalisés au gré des goûts de chacun.
En raison de leur dimension publique, ces rites tendent de plus en plus à se transformer en événements, assortis de leur spectacularisation. Dans nos sociétés postmodernes caractérisées par l'individualisme et l'effet médiatique, à l'ère d'Internet et des réseaux sociaux, les rites s'inscrivent dans une économie de l'événementiel et du festif. Ils laissent toutefois une large place aux expériences individuelles, à leur mise en scène personnalisée – entre autres par la photographie –, qui rendent compte d'un besoin de créer un événement soulignant un temps significatif de la vie.
À quel besoin fondamental voulons-nous répondre par des rites comme les collations des grades, les autres cérémonies de remise de diplômes ou même les bals de finissants?
Ces événements marquent officiellement le changement de statut d'étudiantes ou d'étudiants à celui de diplômées ou diplômés. Selon l'ethnologue Arnold van Gennep, tous les rites de passage sont constitués de trois phases: la séparation, la marge et l'agrégation. La cérémonie de remise des diplômes souligne de façon très symbolique l'étape définitive de l'agrégation et la reconnaissance universitaire.
Comme tous les rites de passage qui marquent un changement d'âge, d'occupation ou de statut, le fait de célébrer collectivement ce passage accentue le sentiment d'appartenance à l'établissement d'enseignement et l'esprit de cohorte, à sa promotion, tout en conférant une grande signification à celles et ceux qui vivent ce rituel.
Ces cérémonies, sources de grande fierté et de sentiment d'accomplissement, couronnent plusieurs années d'études et marquent le début d'une nouvelle étape de la vie. À l'ère du déclin des rituels à caractère religieux, la collation des grades et les autres cérémonies de fin d'études sont des rituels profanes qui revêtent le plus une dimension solennelle, voire sacrée.
Propos recueillis par Jean Hamann