
De gauche à droite, les sept artistes de l'opéra The Turn of the Screw, tous étudiantes et étudiants à la Faculté de musique: Mihaela Popovici (l'orpheline Flora), Michel Blackburn (le fantôme Peter Quint), Azur Simard (la gouvernante), Angèle Fréchette (l'intendante Mrs Jones), Catherine LaForest (le fantôme Miss Jessel), Emmanuel Garreau (prologue et percussions) et Lisa Duprez-Goulet (l'orphelin Miles).
— Yan Doublet
Est-ce bien des fantômes qui s'infiltrent dans l'opéra The Turn of the Screw? Ou cette fantasmagorie n'est-elle que le fruit de l'imagination des personnages? Paranormal ou paranoïa? Voilà une question qui restera sans réponse si vous assistez à l'adaptation proposée par les étudiantes et étudiants de l'Atelier d'opéra, sous la direction musicale d'Anne-Marie Bernard et dans une mise en scène d'Érika Gagnon.
«Dans cet opéra de Britten, le mystère règne du début à la fin. Je me rappelle que la première fois que je l'ai vu, je me suis dit: "Mais qu'est-ce qui s'est passé?" On dirait que l'auteur ne fait qu'ouvrir des portes. Il ajoute continuellement des interprétations possibles de l'histoire qui se déroule devant nos yeux», révèle la formatrice en musique et pianiste Anne-Marie Bernard.
Inspiré de la longue nouvelle fantastique The Turn of the Screw écrite par l'écrivain américano-britannique Henry James en 1898, l'opéra du même nom, composé en 1954, met en scène assez fidèlement les mêmes péripéties. Au manoir Bly, dans une contrée reculée de la campagne anglaise, vivent deux orphelins, une jeune femme nouvellement engagée pour faire leur éducation et une vieille intendante. Dans cette demeure ancestrale où tout devrait être tranquille, la jeune gouvernante croit apercevoir un étranger dans une tour du manoir. Quelques jours plus tard, elle tombe face à face avec le même homme devant une fenêtre. De la bouche de l'intendante, Mrs Jones, elle apprend une histoire étrange, enfouie dans le passé de ce manoir. L'ancien valet des lieux, Peter Quint, un homme narcissique et sans principes, a séduit l'ancienne gouvernante des enfants, Miss Jessel, puis l'a abandonnée. Cette dernière s'est enlevé la vie dans le lac près du manoir. Peu de temps après, Peter Quint est décédé dans un accident automobile. La gouvernante pense dès lors que la demeure est hantée par ces deux esprits qui exercent une influence sur les enfants, et elle se donne la mission de protéger ses deux élèves.
«Toutefois, la protection des enfants devient excessive, amenant même des gestes brusques chez la gouvernante envers les enfants. Celle-ci développe, tout à coup, un côté plus sombre de sa personnalité, un côté qu'elle ne pensait pas avoir. On assiste à une perte progressive de l'innocence chez la jeune gouvernante», affirme la chargée de cours Érika Gagnon.
En plus de signer la mise en scène, cette comédienne professionnelle aide, depuis le début de janvier, les étudiantes et étudiants en chant classique à peaufiner leur jeu scénique. «C'est un scénario plein de trous. J'ai vraiment cherché dans le texte pour voir s'il y a une interprétation définitive et, non, il n'y en a pas. Les chanteuses comédiennes et chanteurs comédiens doivent donc construire leur personnage en se forgeant leur propre vision des événements, mais ils ne doivent pas non plus l'imposer aux spectatrices et spectateurs. Sinon, l'histoire va tomber à plat. Il faut que celle-ci reste ouverte aux possibilités. Ce n'est pas facile à porter pour des comédiennes et comédiens», remarque-t-elle.

Sous le regard bienveillant de la metteure en scène Érika Gagnon (à gauche) et de la directrice musicale Anne-Marie Bernard (au centre), l'étudiante Azur Simard, qui tient le rôle principal de la gouvernante, explique les défis liés à son interprétation tant sur le plan du jeu scénique que sur celui du chant lyrique.
— Yan Doublet
L'étudiante Azur Simard, qui interprète le rôle principal de la gouvernante, avoue qu'elle a travaillé fort pour développer de nouvelles compétences en jeu. «J'avais déjà joué des personnages dans des opéras et opérettes, mais c'est la première fois que j'explorais en profondeur l'aspect de double jeu. Mon personnage ressent de l'anxiété et il faut que j'arrive à le montrer clairement. Toutefois, en même temps, il souhaite cacher cette émotion aux autres personnages et exprimer autre chose et, ça aussi, je dois trouver une manière efficace de le montrer au public. Tout est dans les nuances, c'est super intéressant! J'ai aussi eu à explorer des émotions qu'on voit rarement dans des opéras, comme l'anxiété et la paranoïa», confie-t-elle.
Le plaisir d'adapter
Tout un travail en amont a été fait à l'automne par les étudiantes et étudiants pour apprendre les paroles et maîtriser les subtilités du chant lyrique associées à cet opéra. «C'est de la musique contemporaine. Il n'y a donc pas de ritournelle ou de mélodie. La musique cherche à appuyer l'émotion et le texte. Parfois, Britten choisit donc d'illustrer avec des accords tordus. Harmoniquement, c'est très complexe et ça demande beaucoup de travail pour les étudiantes et étudiants», explique Anne-Marie Bernard.
«Dans un opéra moderne, renchérit Azur Simard, on ne chante pas toujours. Parfois, on est plus près de la réplique comme au théâtre, et parfois on doit chanter avec toute la voix. Ce sont deux techniques différentes et il faut savoir passer rapidement de l'une à l'autre. C'est exigeant, mais tellement passionnant de créer des nuances en mettant parfois l'accent sur la parole et parfois sur la musique. Ça permet d'aller chercher toute une palette de façons de s'exprimer, selon les effets qu'on veut donner.»
Étant donné qu'Anne-Marie Bernard souhaitait ardemment présenter une version en français de l'opéra, il fallait d'abord traduire le texte dans notre langue. «J'ai trouvé une traduction maison qui a été faite par des gens que je connais. Je suis partie de ce travail et nous avons encore adapté le texte et la musique pour que ça sonne plus français. Ainsi, les rythmes ont parfois dû être adaptés à la langue française. Sur le plan pédagogique, c'est un exercice vraiment enrichissant! De plus, la musique avait été composée pour un petit orchestre de chambre. De notre côté, on l'a adaptée pour le piano», indique Anne-Marie Bernard.
— Anne-Marie Bernard, directrice musicale de l'Atelier d'opéra
La directrice musicale a aussi décidé de profiter de la présence d'un percussionniste parmi les chanteurs pour ajouter du gong, des cloches tubulaires et des timbales à la partition. «Afin de donner une couleur supplémentaire et originale à notre version», dit-elle. La pianiste jouera également du célesta – un instrument hybride entre le glockenspiel et le piano, utilisé notamment pour le «Thème d'Hedwige» dans la trame sonore des films de la série Harry Potter – afin de marquer par des sons plus métalliques chaque apparition du fantasmagorique personnage de Peter Quint.

Le baryton Emmanuel Garreau, qui chante le prologue de l'opéra The Turn of the Screw, ajoute une couleur particulière à la version présentée au Théâtre de la cité universitaire, puisqu'on profite de sa formation de percussionniste pour ajouter la timbale à la portion musicale, assurée au piano et au célesta par Anne-Marie Bernard.
— Yan Doublet
The Turn of the Screw est présenté au Théâtre de la cité universitaire, le samedi 8 mars à 19h30 et le dimanche 9 mars à 15h. «C'est une belle œuvre pour découvrir l'art lyrique. En plus, il est rare d'avoir la chance d'assister à un opéra d'une telle qualité professionnelle, avec des décors, des costumes, du maquillage et des éclairages, à un coût aussi abordable», conclut Érika Gagnon.
Pour assister à l'une ou l'autre des représentations: