13 janvier 2025
Le BLÉ et le dollar solidaire: une initiative citoyenne au bilan en demi-teinte
Entre 2018 et 2024, quelques milliers de résidentes et résidents ainsi que des centaines de commerces de la communauté urbaine de Québec ont utilisé une monnaie locale complémentaire
Le projet Monnaie locale complémentaire Québec, ou projet MLC Québec, est né en 2016, à l'initiative de citoyennes et citoyens des quartiers centraux de Québec. Il a pris fin à l'automne 2024. Ce projet pour le moins audacieux a fait l'objet d'une analyse à l'été 2024 par l'étudiant à la maîtrise en aménagement du territoire et développement régional, Antoine Laforte.
«L'expérience du projet MLC Québec a donné des résultats relativement satisfaisants, même si l'objectif de s'inscrire dans la longue durée n'a pas été atteint», explique celui qui a présenté les résultats de son analyse il y a quelques semaines lors d'un colloque étudiant.
La transition écologique
MLC Québec a vu le jour grâce à des militantes et militants engagés dans la transition écologique. Cette approche se définit comme le passage vers un mode de vie et une économie qui respectent mieux la nature. Basé sur le concept d'économie circulaire, le projet MLC Québec a franchi une étape cruciale en 2018 avec la création du billet local d'échange, le BLÉ. Cette monnaie, qui se déclinait en billets de 5, 10 et 20 BLÉ, était utilisable en lieu et place du dollar. Elle suivait un ratio de 1 pour 1 avec le dollar canadien.
À son sommet, cette monnaie regroupait plus de 300 utilisatrices et utilisateurs, ainsi qu'une cinquantaine de commerces participants. Environ 10 500 billets locaux d'échange étaient en circulation.
«Le BLÉ était vraiment une monnaie en parallèle du dollar canadien, soutient Antoine Laforte. Les dollars de la citoyenne ou du citoyen étaient déposés dans un fonds de garantie dans une institution financière partenaire. Cet argent restait disponible pour être converti en monnaie locale complémentaire.»
Un des objectifs du projet MLC Québec visait à insérer les commerçantes et commerçants participants dans un circuit complet qui, par exemple, pouvait inclure l'agriculture, la boucherie, l'épicerie et la consommation.
«En réalité, le circuit n'a jamais été vraiment complet et la monnaie circulait surtout entre les commerces de détail et les consommateurs, souligne-t-il. Les BLÉ étaient donc réintégrés dans la boucle par les commerçants en offrant de rendre une partie de la monnaie en change à de nouveaux clients. Certains commerces agissaient donc en quelque sorte comme un comptoir de change.»
Selon l'étudiant, le projet MLC Québec, de par son ampleur, figurait parmi les plus importants projets de monnaie locale au Québec.
Une seconde monnaie locale
L'initiative basée sur le BLÉ s'est rapidement étendue à la communauté urbaine de Québec, jusqu'à Lévis, sur la rive sud de la capitale. Cette expansion est due en partie à l'arrivée, en 2020, d'un joueur supplémentaire dans le projet MLC Québec, le dollar solidaire. Ce projet était issu des sociétés de développement commercial, de la Chambre de commerce et d'industrie de Québec et de MLC Québec. Sous la forme d'un bon d'achat, le dollar solidaire offrait une plus-value de 1.5 par rapport au dollar canadien. En d'autres termes, 100 dollars solidaires avaient la valeur de 150$.
«Les deux monnaies se distinguaient au niveau des objectifs, indique Antoine Laforte. Le BLÉ avait une perspective à long terme dans un esprit d'économie circulaire qui encourageait le commerce local et qui visait à modifier notre relation à la consommation. Le dollar solidaire, lui, visait principalement à relancer l'économie, plusieurs commerces étant en difficulté financière. L'aspect appât du gain en avait convaincu plusieurs à s'engager.»
À son sommet, le dollar solidaire était utilisé par plus de 2000 personnes et environ 460 commerces. La valeur des dollars solidaires en circulation s'élevait à plus de 400 000$.
La pandémie, la concurrence et un déclin progressif
Au cours de sa recherche, l'étudiant a interviewé six personnes impliquées dans le projet MLC Québec. «Pour plusieurs, dit-il, leur engagement était motivé par la possibilité de faire une différence au niveau environnemental et aussi de créer du lien social dans une communauté dans laquelle on rencontre des gens de tous les horizons. Mais la pandémie de COVID-19 a rendu ça plus difficile. Par exemple, les échanges en monnaie papier, dollars canadiens et monnaies locales, ont cessé. Et le lien social par visioconférence a été plus difficile à créer.»
«Les deux monnaies locales distinctes se sont quelque peu concurrencées et se sont éteintes progressivement», résume-t-il.
Une des causes, selon lui, de la disparition du dollar solidaire a été l'obstacle que représentait la gestion des budgets par trois acteurs ayant chacun leur conception. «Ces trois visions, poursuit-il, n'allaient pas toutes dans le même sens, ce qui a amené certaines difficultés. L'intérêt à poursuivre a été un autre obstacle. Pour les sociétés de développement commercial, la Chambre de commerce et d'industrie de Québec et le projet Monnaie locale complémentaire Québec, il s'agissait d'un projet temporaire.»
Un autre facteur a été la gestion au quotidien des deux monnaies par les membres bénévoles de MLC Québec. «Ce travail, explique-t-il, leur demandait beaucoup de temps et d'énergie vu le grand volume de transactions.»
Selon lui, le BLÉ et le dollar solidaire ont notamment souffert d'un manque de dialogue. Dans le premier cas, le principal obstacle a été l'absence de culture de l'expérimentation dans les organismes de gestion. Dans le second cas, on parle de l'absence de balises et de leadership.
«En fonction des objectifs du projet et du fait qu'il a pris fin, conclut Antoine Laforte, on ne peut pas à proprement parler d'une réussite. Ce n'est toutefois pas un échec pour autant. À partir de la perspective des expérimentations citoyennes, il n'y a pas seulement la finalité qui a de la valeur, mais le processus, la trajectoire, qui sont porteurs d'apprentissages qui sont tout aussi importants et qui pourront favoriser le maintien de futurs projets portés par les citoyens.»