
Lors de son passage sur le campus, le 18 octobre, Patrice Vermette a eu l'occasion de visiter les collections d'objets et de spécimens de l'Université Laval, notamment la collection Lemai, qui réunit caméras et autres appareils de cinéma de différentes époques. On voit le directeur artistique (à gauche) en compagnie de Valérie Boulva, chargée de conservation et de mise en valeur des collections, et de Jean-Pierre Sirois-Trahan, professeur de cinéma.
Qui peut dire précisément quel est le rôle d'un directeur artistique dans le milieu cinématographique? Bien peu de gens… Le professeur de cinéma Jean-Pierre Sirois-Trahan a invité Patrice Vermette à venir démystifier son métier lors d'une classe de maître, tenue le 18 octobre. L'homme qui a collaboré notamment avec les réalisateurs Jean-Marc Vallée et Denis Villeneuve s'est généreusement confié aux étudiants, pendant plus de 2 heures, révélant ses débuts et ses expériences marquantes. Comment en vient-on, lors de sa troisième nomination pour l'Oscar des décors, à repartir du gala hollywoodien avec la précieuse statuette?
«Ma relation avec le cinéma a pourtant bien mal débuté, avoue Patrice Vermette. Mes parents m'avaient amené voir La flûte enchantée de Bergman, un film en noir et blanc, en suédois avec sous-titres. J'avais 5 ans, je ne savais pas lire et je n'ai rien compris. Je suis reparti en me disant que je détestais le cinéma.»
Heureusement, à 7 ans, intrigué par le film dont les petits voisins lui parlaient, il supplie son père d'aller voir Star Wars. «Une révélation! Un coup de foudre! Et ce, dès le prologue!», s'exclame-t-il. De retour chez lui, il se met à créer des bases lunaires inspirées du film avec des draps et des tissus, des chaises renversées, du papier mâché et du papier de soie. «Dans la maison de mes parents, le sous-sol n'était pas fini et nous, les enfants, pouvions y faire un peu n'importe quoi. Mes décors ont peu à peu pris de l'expansion, allant jusqu'à couvrir les 2/3 du sous-sol. Lorsqu'ils recevaient de la visite, mes parents faisaient descendre les gens pour qu'ils voient le projet que j'avais développé», se rappelle-t-il en riant.
De la musique jusqu'au cinéma
Malgré cette passion précoce pour les décors, Patrice Vermette ne se destine pas à la direction artistique de films. Il a plutôt choisi d'étudier en communication avec une spécialisation en son à l'Université Concordia. «À cette époque, je jouais dans un band et je rêvais de faire des musiques de film. J'ai donc fait énormément de trames sonores pour des amis qui étudiaient en cinéma. Un jour, un ami m'a proposé d'être assistant de production pour un vidéoclip, mais la veille du tournage, les décors n'avaient pas été livrés. Pour dépanner, j'ai fabriqué pendant la nuit des éléments visuels et on a pu tourner le clip. Pour montrer sa reconnaissance, le réalisateur m'a engagé pour faire les décors de son clip suivant. C'est comme ça que tout a commencé pour moi», raconte Patrice Vermette.
De fil en aiguille, le décorateur est passé du monde du vidéoclip à celui de la publicité et des courts-métrages, où il a rencontré Jean-Marc Vallée à l'occasion du court-métrage Les mots magiques. «Un grand coup de foudre professionnel. On a fait plein de pubs ensemble par la suite», indique celui qui envisageait alors de faire toute sa carrière en publicité.
C'est son ami Jean-Marc Vallée qui l'a amené vers le cinéma. «Je ne voulais pas travailler sur des films, mais le scénario de C.R.A.Z.Y. m'a convaincu. Le succès de ce film nous a ouvert des portes à tous les deux», indique le directeur artistique.
Ce qui l'a aussi convaincu? «Moi et Jean-Marc, explique-t-il, partagions des idées communes. Nous étions sur la même longueur d'ondes sur le plan artistique. Pour moi, c'est essentiel qu'il y ait une chimie avec le réalisateur. Et la musique a vraiment cimenté notre relation. D'ailleurs, lorsque je faisais des films avec lui, il m'envoyait une playlist pour nourrir mon inspiration pour les décors, les lieux, les atmosphères. Par exemple, sa liste pour C.R.A.Z.Y. m'a ramené à mes propres Noëls d'enfant, quand on roulait sur le lit parmi les manteaux de fourrure des tantes et des oncles. De là est venue l'idée des manteaux de fourrure étalés sur le lit dans une scène du film.»
Créer du sens par le visuel
Donner une identité visuelle à un film, voilà le propre du travail d'un directeur artistique. «Mon rôle, c'est de développer le non-dit d'un scénario et de le mettre en valeur par des éléments visuels. Par exemple, dans Enemy, on a joué à quelques reprises avec l'architecture et les lignes pour évoquer une toile d'araignée. Dans Arrival, il y a un miroir visuel entre la maison de Louise Banks, l'université où elle travaille et l'intérieur du vaisseau. Ces détails peuvent être très subtils, mais ils signifient ou annoncent quelque chose. Ils peuvent n'apparaître, aux yeux du spectateur avisé, que lors du 2e ou 3e visionnement, mais ils contribuent à créer l'identité visuelle du film. Tout comme le jeu d'un acteur, les lieux doivent avoir une personnalité et raconter une histoire. Ils permettent de suivre l'arc narratif et d'appuyer le sens profond d'une scène», explique Patrice Vermette.

Dans <i>Enemy</i> de Denis Villeneuve, les lignes dans les décors évoquent parfois une toile d'araignée.
— Pathé International, Entertainment One, Corus Entertainment
Dans C.R.A.Z.Y., le directeur artistique a joué avec les ronds dans la scène ayant Space Oddity comme trame musicale. On se rappelle que le personnage de Zac partage une chambre avec son jeune frère Yvon. Jean-Marc Vallée et Patrice Vermette avaient convenu de séparer de façon marquée l'espace des deux frères avec la décoration: poster de Bruce Lee et image de Dark Side of the Moon, du côté de Zac, fusées et Terre vue de l'espace, du côté d'Yvon. «Le matin du tournage, raconte Patrice Vermette, Jean-Marc vient me voir et me dit que ça ne fonctionne pas puisque la Terre empiète sur l'espace de Zac. Je lui ai dit: "C'est pensé". Grâce au miroir rond qui fait face à la Terre ronde, on peut filmer le dos de Zach dans le miroir, puis il se retourne et on a l'impression qu'il flotte dans l'espace.» Ajoutez à ceci le tourne-disque et le rond de fumée de cigarette qui monte vers l'espace et vous créez une signature visuelle unique pour cette scène marquante.
«J'aime utiliser le symbolisme dans le décor, ajoute-t-il. Certains détails peuvent permettre de découvrir la nature profonde d'un personnage ou les relations entre des personnages. Par exemple, dans The Young Victoria, pour illustrer la relation toxique entre la princesse et sa mère, les murs de la chambre qu'elles partagent sont peints d'un vert incandescent, qui rappelle la peinture faite d'arsenic, en vogue au 18e siècle.»
On peut voir une partie de la scène avec <i>Space Oddity</i> de David Bowie comme trame de fond à la fin de la bande-annonce du film <i>C.R.A.Z.Y</i>.
La direction artistique, c'est comme une partition
S'il importe d'utiliser les éléments visuels pour donner plus de sens à l'histoire, Patrice Vermette met aussi en garde les étudiants contre une surexploitation du visuel. Comme un compositeur, il faut savoir doser. «Dans une partition, dit-il, il y a parfois des solos, mais, de manière générale, on met de l'avant l'ensemble de l'orchestre. De la même façon, le visuel doit être au service du scénario. Il ne doit pas prendre le pas sur lui. Oui, parfois, comme un solo, on peut mettre l'accent sur quelque chose, mais on doit privilégier avant tout le réalisme de l'histoire.»

Dans <i>Dune</i> de Denis Villeneuve, la ville d'Arrakeen a été pensée comme une réponse à des conditions physiques et sociales. Par exemple, en raison des vents violents, la ville est protégée par un arc montagneux et les bâtiments sont angulaires.
— Warner Bros
Créer du réalisme demeure ainsi une priorité pour Patrice Vermette, même lorsqu'il conçoit des lieux qui n'existent pas. «Par exemple, raconte-t-il, dans Dune, on pouvait inventer un monde. Toutefois, pour moi, il importait que les décors, les lieux, les bâtiments, les objets soient réalistes. Je me suis donc dit: ″Si j'étais le fondateur d'Arrakeen, comment est-ce que je bâtirais ma ville? Il faudrait que je trouve certaines solutions aux conditions naturelles difficiles. Le vent y souffle fort, je construirais donc des immeubles angulaires. Je n'y mettrais pas de grandes fenêtres, mais des cheminées pour la lumière. Je concevrais des ornithoptères relativement lourds et solides pour réussir à voler dans ces conditions. Je ne construirais pas ma ville dans le sable. J'essayerais de trouver un arc montagneux avec un peu de pierre pouvant offrir une protection naturelle. Je serais aussi un colonisateur avec une vision de colonisateur et une volonté d'imposer ma supériorité. J'aurais donc envie de construire des bâtiments imposants.″ Bref, le geste architectural d'une ville imaginaire doit tout de même être une réponse à des conditions naturelles ou sociales pour être réaliste.»
Pour répondre à cet impératif, un directeur artistique doit donc être une personne très curieuse, capable de développer une expertise dans des domaines qu'elle ne connaissait pas, explique Patrice Vermette. «Pour The Young Victoria, je suis devenu un expert de la monarchie britannique des années 1836 à 1841. Pour Sicario, j'ai dû me renseigner sur les façons de faire fondre un corps avec de l'acide», illustre-t-il.
Une relation de confiance
Au-delà du symbolisme et du réalisme, quand on demande à Patrice Vermette ce qui est le plus important dans son travail, il répond deux choses.
Premièrement, il faut savoir bien s'entourer. En effet, l'aspect artistique n'est qu'un pan des tâches d'un directeur artistique. Une autre partie relève de la gestion. Il faut superviser différentes équipes comme celles des décors et des accessoires, tant pour la conception que pour la construction et l’habillage, et gérer les budgets qui y sont associés. Il faut également penser aux espaces en studio et au temps de construction nécessaire, diriger et superviser la recherche des lieux de tournage, et s'assurer que d'autres équipes comme celles des costumes, des maquillages et des effets spéciaux suivent la logique visuelle du film.
Deuxièmement, il faut développer une grande relation de confiance avec le réalisateur parce que, selon lui, rien n'est pire que d'essayer de deviner la vision d'un réalisateur et d'y répondre à l'aveuglette. Heureusement, lui-même a établi une belle et profonde relation avec des réalisateurs avec qui il partage des idées et des goûts communs sur le plan artistique. Pour son plus grand bonheur, Jean-Marc Vallée a un jour déclaré que «le meilleur ami d'un réalisateur, ce n'est pas le directeur photo, mais le directeur artistique». De son côté, Denis Villeneuve, avec qui il collabore toujours, dit voir en lui «une extension de son cerveau».
Pour sa part, Patrice Vermette – qui aime bien illustrer ses propos avec des métaphores du monde de la musique – se décrit comme un «DJ des images». Effectivement, trouver la juste dose, le mélange visuel parfait pour faire vibrer un public, c'est visiblement l'essence de son travail. «Mais toujours en restant au service du film et de la vision du réalisateur», tient-il à rappeler.
Quelques films dont Patrice Vermette a assuré la direction artistique:
- C.R.A.Z.Y., de Jean-Marc Vallée, 2005
- The Young Victoria, de Jean-Marc Vallée, 2009
- 1981, de Ricardo Trogi, 2010
- Café de Flore, de Jean-Marc Vallée, 2011
- Prisoners, de Denis Villeneuve, 2013
- Enemy, de Denis Villeneuve, 2013
- 1987, de Ricardo Trogi, 2014
- Sicario, de Denis Villeneuve, 2015
- Arrival, de Denis Villeneuve, 2016
- Vice, de Adam McKay, 2018
- Dune, de Denis Villeneuve, 2021
Visite des collections de l'Université
Lors de son passage sur le campus, Patrice Vermette a eu l'occasion de visiter une partie des collections d'objets et de spécimens de l'Université Laval, notamment la collection Lemai, en compagnie de quelques étudiants en cinéma.
Devant la sculpture Les nations / Conséquence de l’artiste Jordi Bonet, il a révélé que cet artiste a été une inspiration importante pour certains décors de Dune. Aujourd’hui conservée parmi les autres trésors des collections au pavillon Louis-Jacques-Casault, la sculpture a été créée pour Expo 67. Elle a été donnée à l’Université Laval en 1969, qui l’avait alors installée entre les pavillons Charles-De Koninck et Jean-Charles-Bonenfant. Patrice Vermette a aussi profité de son passage à l’Université pour aller admirer une autre œuvre de Jordi Bonet, la murale L’homme devant la science, sur la façade du pavillon Adrien-Pouliot.
Le directeur artistique a été si emballé par la richesse des collections qu’il a demandé de pouvoir revenir y passer une journée complète.
Pour en savoir plus sur les collections: