Le mercure affiche 7 degrés Celsius, un brin frisquet en cette soirée d'été. Le soleil est encore haut dans le ciel. Des véhicules tout-terrain forment un nuage de poussière. Des enfants, tout sourire, se lancent un ballon. L'ambiance est tout aussi animée au quai, où de petits bateaux de pêcheurs s'activent pour attraper un béluga qui vient de faire une apparition furtive.
Bienvenue à Kangiqsualujjuaq, un village d'environ 900 âmes dans la baie d'Ungava. Ici, on vit au rythme des saisons et des marées de l'anse de la rivière George. C'est dans cette communauté isolée que l'équipe de recherche Habiter le Nord québécois vit les réalités du travail collaboratif depuis 2019, sous l'égide de la professeure Geneviève Vachon.
Ce projet, financé par le programme Sentinelle Nord, porte bien son nom, Faire les choses autrement. Car tel est le but des chercheurs et de leurs partenaires: sortir des sentiers battus en matière d'aménagement de l'habitat autochtone nordique. Ils travaillent principalement sur un «atlas», soit un guide pour créer des milieux de vie qui répondent aux besoins et aux aspirations des Inuits du Nunavik.
Pour les besoins de ce projet, une partie de l'équipe était à Kangiqsualujjuaq du 14 au 21 juin. Un tel séjour de recherche, on le devine, est le fruit d'une préparation minutieuse à laquelle ULaval nouvelles a assisté.
Découverte du Nord mythique
Mea culpa: avant d'y mettre les pieds, l'auteur de ces lignes en connaissait bien peu sur ce vaste territoire qui s'étend au-delà du 55e parallèle. Ayant multiplié les entrevues ces dernières années avec des universitaires passionnés du Nord - Bernard Saladin d'Anglure, Jean Désy, Marcel Babin, Pierre-Olivier Demeules et Thierry Rodon, entre autres – il avait en tête des informations de base auxquelles s'est ajouté, peu avant le départ, un cours accéléré sur l'histoire, la population, la culture et les enjeux du Nunavik par Geneviève Vachon et son équipe.
Quelle ambiance! C'est la pensée qui nous frappe à notre arrivée à Kangiqsualujjuaq. Il faut dire que notre séjour coïncide avec le Napaartulik Music Festival, un festival de musique inuite. Quatre jours durant, des artistes locaux et d'ailleurs au Nunavik offrent des prestations au centre communautaire. Pour nos chercheurs, c'est l'occasion de rencontrer les partenaires du projet Faire les choses autrement, dont plusieurs s'impliquent dans l'événement.
L'un des premiers arrêts, à notre arrivée, est la station de radio communautaire. Ce média joue un rôle clé dans la vie quotidienne du village. Assise devant son micro, Lisatta Obed rapporte les nouvelles de la communauté, reçoit des appels des auditeurs et fait jouer des chansons. Si Geneviève Vachon s'est tournée vers la radio pour annoncer la venue de son équipe, ce n'est pas par hasard.
Pour comprendre la situation de l'habitat au Nunavik, il faut savoir que les Inuits vivent dans des logements sociaux pour la plupart. Ce modèle de bâtiments, imposé par le colonialisme, est aux antipodes de leur mode de vie lié au territoire. Il suffit de s'aventurer quelque peu dans la toundra pour voir des campements où ils pêchent, chassent et pratiquent des activités récréatives et sociales, comme le faisaient leurs ancêtres nomades.
La communauté de Kangiqsualujjuaq peut compter sur le savoir-faire de nombreux constructeurs de talent. C'est le cas de Daniel Annanack. Plutôt taiseux, cet homme souriant s'anime lorsque vient le temps de parler de son plus récent projet: une cabane hors du village où les jeunes pourront s'initier aux joies de la nature.
L'atlas sur lequel travaillent Geneviève Vachon et l'équipe de cochercheurs, d'étudiants et de partenaires se veut un outil concret pour aider les Inuits à créer des milieux de vie qui leur ressemblent. Accessible en ligne et en format papier, il réunira 25 idées orientées autour des rencontres, réflexions, récoltes de témoignages et ateliers de design participatif qui ont eu lieu ces dernières années avec des Inuits, des décideurs et divers acteurs liés à l'environnement bâti.
Parmi les partenaires du projet Faire les choses autrement figure l'Office municipal d'habitation Kativik. Cette organisation, responsable du logement social et du programme d'accès à la propriété privée dans les 14 villages du Nunavik, voit d'un bon œil la création d'un atlas.
Le contact avec les gens du Nord
Il faut l'admettre, la recherche collaborative avec la communauté inuite soulève des questions délicates. Pour des chercheurs venus du Sud, le spectre du passé colonialiste ou celui de l'appropriation culturelle n'est jamais loin. Pour l'équipe d'Habiter le Nord, la solution réside dans une approche basée sur l'écoute, le respect de la culture et des valeurs des Inuits et la transmission mutuelle des savoirs et des compétences.
Chose certaine, l'équipe de l'Université Laval ne chôme pas. Ce séjour à Kangiqsualujjuaq fut un véritable marathon de réunions, discussions, séances de remue-méninges et visites de chantiers et autres lieux d'intérêt, parfois à des heures très tardives.
Qu'est-ce qui motive ces chercheurs à travailler aussi fort dans une région méconnue de plusieurs Québécois? La réponse est simple: les Inuits, ce peuple à la fois accueillant, généreux et fier de ce territoire sur lequel il vit depuis des siècles.
Le Nunavik en quelques chiffres
Le séjour en 10 photos
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