
Denise Brend, professeure à l’École de travail social et de criminologie
— Université Laval, Yan Doublet
Menace, harcèlement, intimidation, plusieurs agentes et agents correctionnels vivent des situations difficiles. «Je suis profondément touchée en pensant aux souffrances des personnes qui étaient persécutées au travail pour qui elles sont», confie Denise Brend, professeure à l'École de travail social et de criminologie. Elle a publié une étude mettant en lumière une réalité troublante: de nombreuses personnes travaillant dans les établissements carcéraux vivent de la détresse morale, particulièrement en contexte de discrimination systémique.
La détresse morale résulte du fait de savoir ce qu'il faut faire, mais d'en être incapable en raison de contraintes liées au travail. Elle peut s'exprimer comme un sentiment d'impuissance, de peur, de tristesse ou d'angoisse, accompagné de la perception qu'il n'y a aucune option pour fournir des commentaires ou des suggestions pour améliorer sa condition. Ce ressenti est associé à une augmentation du roulement du personnel et à une détérioration de la santé mentale. «Ils font un travail extrêmement difficile, mais c'est comme s'ils étaient oubliés par la société», souligne la chercheuse.
Une détresse exacerbée par les préjugés
Parmi les 77 agentes et agents correctionnels sondés par la professeure, la majorité n'était pas nécessairement en grande détresse, une «bonne nouvelle» selon la chercheuse. Mais environ 30% ont décrit un système brisé où rien ne marche, où ils ne se sentent pas en sécurité et où ils ont l'impression d'être piégés et impuissants. «Dans certains endroits, le milieu de travail est terrible. Une personne m'a dit que son patron l'a menacée d'envoyer des criminels chez elle pour la tuer et tuer sa famille», raconte-t-elle.
La chercheuse a aussi montré que la détresse morale était davantage présente chez les groupes ciblés par des stéréotypes ou des préjugés, selon le sexe, l'orientation sexuelle, la nationalité ou l'appartenance à un groupe religieux. «Dans des situations dangereuses, il faut que ton équipe soit proche et réponde à l'appel, mais ces personnes sont mises à part. C'est comme un autre niveau de danger», soutient-elle.
Repenser le soutien au personnel
Un résultat «encourageant»: dans les organisations qui mettent en place des approches d'aide ou sensibles aux traumatismes, la détresse morale était plus faible. Ces approches visent à atténuer le stress traumatique secondaire, c'est-à-dire les symptômes liés à l'exposition indirecte à des traumatismes puisque le personnel fait face quotidiennement à des agressions, des tentatives de suicide et à une détresse humaine profonde.
Parmi les mesures pouvant être mises en place, on retrouve l'accompagnement pour gérer l'exposition aux traumatismes et des politiques claires pour savoir agir dans différentes situations. Pourtant, les réponses de l'employeur restent souvent limitées à des interventions ponctuelles après des incidents critiques. Selon la professeure, les connaissances sur les traumatismes ont beaucoup évolué dans les dernières années, mais le système correctionnel est en retard.
«L'exposition au trauma, c'est comme manipuler des produits chimiques dangereux. On ne dit pas à quelqu'un de simplement aller à l'hôpital après son quart de travail s'il se brûle. Il faut des mesures intégrées, préventives et adaptées», conclut la chercheuse.
Les autres signataires de l'étude publiée dans Traumatology sont Mari Herttalampi, de l'Université de Jyväskylä et Ginny Sprang, de l'Université du Kentucky.