L'entrevue s'est déroulée dans la timonerie de l'Amundsen, avec en arrière-plan les écrans radars et les officiers de la Garde côtière canadienne concentrés à leurs tâches. Invité à assister aux essais en mer du célèbre brise-glace de recherche, ULaval nouvelles a profité de l'occasion pour poser quelques questions au professeur Marcel Babin sur sa passion du Nord.
Directeur scientifique de l'Amundsen, titulaire de la Chaire d'excellence en recherche du Canada sur la télédétection de la nouvelle frontière arctique du Canada et directeur de l'Unité mixte internationale Takuvik, Marcel Babin est un habitué des expéditions nordiques.
Malgré toutes ces années passées en mer, il se dit encore impressionné par l'Arctique et ses décors majestueux. «C'est l'un des milieux les plus fascinants de la planète. L'océan est animé par la présence de la glace de mer qui prend toutes sortes d'apparences. Avec l'Amundsen qui casse la glace, on peut la voir sous toutes ses coutures. On croise aussi régulièrement des icebergs, qui sont d'une grande beauté. Pour les scientifiques, il s'agit d'une région méconnue qui revêt un caractère de découverte. Comme j'étudie les écosystèmes marins, une question que je me pose est: comment la vie peut-elle se développer dans ces milieux qui paraissent à première vue extrêmement hostiles?»
De fait, sous l'eau se trouve tout un monde insoupçonné que le chercheur se plaît à explorer. «Dans l'océan Arctique, la température de l'eau n'est jamais en deçà de -1,8 degré Celsius, ce qui est beaucoup plus chaud que la température de l'air. Cet océan est une oasis qui, d'ailleurs, est fréquentée par plusieurs mammifères marins venus du Sud pour s'alimenter. Il s'agit de l'endroit où l'on retrouve le plus de vie à cette altitude extrême.»
Concrètement, Marcel Babin étudie la façon dont la lumière solaire influe sur la biodiversité et le réseau trophique dans l'océan Arctique. Il va sans dire que le chercheur est aux premières loges pour constater les conséquences des changements climatiques sur l'environnement.
Depuis son premier contact avec le Nord, il a vu le blanc de la banquise faire place au bleu océan. Non pas de visu, mais à partir des nombreuses données satellites qu'il consulte. «Peu de personnes peuvent prétendre avoir perçu avec leurs yeux un changement dans la banquise qui soit fiable. Le climat suit différents cycles, avec certaines décennies froides et d'autres plus chaudes. À l'échelle d'une vie humaine, il est difficile de dégager des tendances sûres.»
Les données satellites, elles, ne mentent pas: «Depuis 1979, l'étendue de la banquise d'été a suivi une tendance décroissante nette d'environ 40%. Il se pourrait que dans quelques décennies, l'océan Arctique soit complètement libre de glace durant l'été.»
La fonte de la banquise n'est pas sans effet sur les écosystèmes marins. Les travaux de recherche de Marcel Babin et de son équipe ont permis d'établir que la réduction de cette surface glacée déstabilise la croissance du phytoplancton, c'est-à-dire les organismes végétaux vivant en suspension dans l'eau. Le phytoplancton est indispensable à la vie marine, car il se trouve à la base de la chaîne alimentaire océanique.
Le chercheur, qui suit de près les différents scénarios du changement climatique, ne voit pas l'avenir de la planète avec des lunettes roses. Il s'en fait particulièrement pour la perte de la biodiversité, la surpêche et l'augmentation de la pollution marine qui ne cesse de prendre de nouvelles formes.
Malgré tout, il refuse d'être pessimiste ou de laisser ses émotions prendre toute la place. «Je fais la part des choses entre le chercheur et le citoyen. Le chercheur observe, essaie de comprendre ce qui se produit, d'anticiper les changements et d'acquérir des connaissances pour répondre aux questions des décideurs notamment. Il n'y a pas de sentiment dans cette partie de ma personnalité. En tant que citoyen, toutefois, je suis très préoccupé. Avec l'augmentation de la population humaine et la pression de plus en plus forte sur l'environnement, on ne peut que s'en faire», conclut-il.