«Hey, l’arbitre, mets donc tes lunettes!» Au Québec, cette phrase au ton plutôt agressif fait partie du quotidien de ceux et de celles qui, tous sports confondus, sont chargés de faire respecter les règlements et d’assurer le bon déroulement d’un match sportif. Or, cette réalité serait encore plus présente dans la vie des jeunes arbitres débutants. C’est pour mieux comprendre le phénomène de l’irrespect, de l’intimidation et et de la violence à l’endroit de ces jeunes arbitres qu’une étude a été menée par une équipe de chercheurs de l’Université Laval et de l’Université du Québec à Trois-Rivières, dirigée par la professeure Sylvie Parent, du Département d’éducation physique. L’étude était une commande de la Direction de la sécurité dans le loisir et le sport du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. En avril dernier, un rapport de recherche d’une cinquantaine de pages, portant sur la première phase de l’étude, a été remis au Ministère. Il s’intitule Expériences des jeunes officiels du Québec.
«Nous avons interviewé 27 arbitres actifs âgés entre 14 et 20 ans, explique la professeure Parent. Au niveau international, le phénomène n’est pas bien documenté dans cette catégorie d’âge. Ces personnes avaient toutes commencé à arbitrer avant d’avoir 18 ans. Un peu plus des trois quarts étaient des garçons. Le soccer, à 52%, et le hockey, à 37%, étaient les sports les plus arbitrés. Près des deux tiers des répondants avaient trois ans et plus d’expérience.»
Dans les dernières décennies, la recherche et les organisations sportives ont rapporté une diminution considérable du nombre d’arbitres. Selon les sports et les pays, cette diminution varierait entre 15% et 40%. Cette tendance serait encore plus importante chez les jeunes arbitres.
«En amont du projet, dit-elle, nous avons eu des discussions avec les fédérations sportives qui ont mentionné un niveau d’abandon important, en particulier chez les jeunes arbitres. Le Québec manque d’arbitres. Si les comportements irrespectueux et violents sont la cause de ce phénomène d’attrition, il faut s’y attaquer en développant des stratégies de prévention et d’intervention.»
Une tâche intrinsèquement stressante
Le métier d’arbitre, on s’en doute, comporte une bonne dose de stress. En fait, ce travail est qualifié d’intrinsèquement stressant. La prise de décision est fréquente, elle doit se faire rapidement et certaines situations sont controversées. La crainte de commettre des erreurs ajoute à la pression. L’arbitre doit être constamment en état d’alerte, considérant la grande quantité d’éléments à observer et à juger. Il lui faut aussi se rappeler les nombreux règlements et décider en une fraction de seconde comment les appliquer.
Selon Sylvie Parent, les cris et insultes qui proviennent des athlètes, des entraîneurs et des parents ne représentent pas de grandes menaces pour les jeunes arbitres. «Mais, poursuit-elle, l’effet cumulatif devient stressant et peut finir par amener les jeunes à quitter le monde de l’arbitrage. Les témoignages recueillis vont dans le sens d’un épisode d’irrespect environ une partie sur deux. C’est donc assez fréquent.»
Dans la documentation scientifique, sur le plan personnel, un certain nombre de facteurs jouent contre les jeunes arbitres. Mentionnons les conflits d’horaire, avoir une apparence jeune, être une fille et faire partie d’une minorité ethnique. «Il est clair, explique-t-elle, qu’avoir l’air jeune n’aide pas puisqu’on est moins mature que les adultes qui nous critiquent, moins expérimenté aussi. Les questions relatives au genre et à l’ethnicité ne sont toutefois pas ressorties lors des entrevues.»
D’un témoignage à l’autre, les jeunes arbitres ont dit que la violence s’inscrivait dans leur expérience d’arbitrage, qu’elle faisait partie intégrante de leur rôle. Ils ont mentionné avoir développé une «carapace», des stratégies d’adaptation leur permettant de supporter les comportements inappropriés à leur égard. Une de leurs principales motivations à exercer cette fonction est le fait d’avoir été un athlète. Certains ont dit avoir fait ce choix pour pouvoir gagner de la confiance ou de l’autorité. Sur leur formation initiale, certains ont souligné le peu ou l’absence de formation sur la gestion de match ou la résolution de conflits. Pour plusieurs répondants, le stress découle du fait que chacun de leurs gestes et décisions sont jugés par les athlètes, les entraîneurs et les parents.
«Les participants ont principalement fait état de violence psychologique, indique la professeure. Plusieurs ont rapporté s’être fait insulter ou avoir subi du “chialage”. Certains ont reçu des menaces. D’autre part, des répondants ont vu des entraîneurs ou des athlètes s’approcher très près d’eux, parfois d’une démarche menaçante pour contester une décision. Quelques-uns ont été poussés, retenus par le chandail ou encore bloqués par quelqu’un.»
Selon les chercheurs, la normalisation de comportements inappropriés envers les arbitres est profondément ancrée dans l’inconscient collectif, donc difficile à changer. «Les gens, soutient-elle, ne comprennent pas la complexité de la tâche de l’arbitre.» Cela dit, des moyens existent pour inverser cette perception sociale négative. «Une formation sur le rôle de l’arbitre devrait être donnée autant aux athlètes qu’aux entraîneurs», poursuit-elle.
Le rapport de recherche contient 10 recommandations. Les auteurs suggèrent notamment de faire et de partager une recension des pratiques visant à réduire la violence mises en place par les associations locales et régionales, et les fédérations provinciales et nationales. Ils recommandent aussi d’augmenter la sévérité des sanctions aux entraîneurs par un système de notes au dossier, d’augmenter le soutien aux jeunes arbitres par des lignes d’écoute et du mentorat, et de mettre en place des campagnes de sensibilisation afin d’augmenter la compréhension du rôle des arbitres et des difficultés relatives à leur rôle.