
Adam et Ève au Paradis, de Lucas Cranach, dit Cranach L’Ancien, 1531. Le premier couple aux origines de l’humanité est entouré d’un lion et d’un cerf. Au-dessus d’Ève, sur l’arbre de la connaissance du bien et du mal, le serpent penche sa tête sur elle. La femme tient une branche de l’arbre, dont les feuilles cachent le sexe de son compagnon. De l’autre main elle lui offre le fruit défendu.
La Bible réunit des dizaines de textes très anciens rédigés par de nombreux auteurs sur plusieurs siècles. Ces textes sont considérés comme sacrés par les traditions juive et chrétienne. Or, la Bible contient de nombreuses références à la sexualité, qui contrastent avec la morale sexuelle catholique et protestante traditionnelle. Mentionnons les histoires de mariages polygames, les poèmes érotiques, les récits d’adultères, les descriptions de rencontres amoureuses ou les interdits mystérieux, voire les expressions qui se sont rendues jusqu’à nous comme «connaître» au sens biblique, c’est-à-dire avoir une relation sexuelle avec quelqu’un, qui viennent ponctuer la lecture de cet ouvrage unique.
La sexualité dans la Bible fait l’objet d’un livre de 200 pages paru récemment aux éditions Fides sous la signature du professeur d’études bibliques à la Faculté de théologie et de sciences religieuses, Sébastien Doane. L’ouvrage de cet essayiste prolifique a pour titre Sortir la Bible du placard. La sexualité de la Genèse à l’Apocalypse. Sur une ligne du temps, les références à la sexualité partent du premier couple aux origines de l’humanité, Adam et Ève, jusqu’à la fin du monde avec «la grande prostituée».
«Au chapitre 17 de l’Apocalypse, l’auteur dépeint le mal sous les traits d’une femme de la façon la plus abominable possible», explique le professeur.
Le texte biblique en question évoque «une femme assise sur une bête écarlate, couverte de noms blasphématoires, et qui avait sept têtes et dix cornes. La femme, vêtue de pourpre et d’écarlate, étincelait d’or, de pierres précieuses et de perles. Elle tenait dans sa main une coupe d’or pleine d’abominations: les souillures de sa prostitution. Sur son front un nom était écrit, mystérieux: Babylone la grande, mère des prostituées et des abominations de la Terre […] ivre du sang des saints et du sang des témoins de Jésus.»
Morale stricte, vision négative
Selon Sébastien Doane, les traditions religieuses ont souvent interprété les textes bibliques liés à la sexualité à l’aune d’une morale stricte, portant une vision négative de celle-ci. «Par ce livre, écrit-il en introduction, je propose au plus grand public possible de discuter ouvertement des pages liées à la sexualité sans chercher à légitimer une posture morale particulière.»
L'ouvrage comprend huit chapitres subdivisés en plus de 50 sections. Plusieurs titres de ces sections sont évocateurs, comme «Le premier ménage à trois», «Quand sexuel rime avec spirituel» et «Mariage, célibat et fin du monde». D’autres sont davantage bruts: «La polygamie», «Perdre sa virginité» et «L’inceste». Dans un passage, on enjoint les hommes à ne pas regarder les femmes comme des objets sexuels. Le plaisir sexuel, lui, est bien présent au fil des pages, y compris le plaisir sexuel féminin présenté de façon métaphorique par le rire.
Le Cantique des cantiques occupe tout un chapitre du livre. Ce recueil de poèmes lyriques empreint d’érotisme, d’amour et de sensualité présente en alternance les voix d’un homme et d’une femme. Selon Sébastien Doane, le Cantique est la preuve éclatante que la Bible est plus qu’un ensemble de lois machistes et misogynes qui encadrent rigoureusement les pratiques sexuelles dans le but de réprimer le plaisir qui est associé à la sexualité.
«Les deux personnages ont découvert la sexualité et essaient de la mettre en mots, explique-t-il. Tous les sens sont mis à contribution. Le lecteur peut voir, toucher, goûter, sentir et entendre la beauté de l’amour. Contrairement au reste de l’Ancien Testament, qui insiste sur l’importance de la descendance pour un couple, le Cantique exalte plutôt la beauté de la sensualité, de la sexualité et de l’amour. Fait à souligner: plus de la moitié du Cantique est écrit du point de vue d’un je féminin. Lorsqu’on pense que la plupart des textes de la Bible sont androcentriques, c’est-à-dire que des hommes les ont écrits pour d’autres hommes…»
Jésus, le premier féministe?
Un chapitre se penche sur l’homosexualité. Une section porte le titre «Sodome, une ville de sodomites?». Un autre chapitre est consacré aux lectures féministes de la Bible. L’une des sections pose la question «Jésus est-il le premier féministe?».
«Aucun personnage biblique n’arrive à la cheville de Jésus de Nazareth dans son rapport égalitaire aux femmes, affirme Sébastien Doane. Il se situe à l’avant-garde, il va contre les idées reçues, entre autres sur les prostituées. Les exclus sont toujours au centre de son discours, en particulier celles qui le sont pour des motifs liés à la sexualité. Jésus parle de ces exclus comme les premiers dans le Royaume de Dieu.»
Le dernier chapitre du livre s'intitule «Et l’amour dans tout ça?». Le professeur Doane y rappelle que curieusement, comme aujourd’hui, la sexualité et l’amour n’étaient pas systématiquement liés dans le monde biblique, et ce, pour des raisons fort différentes.
«Les mariages étaient arrangés, souligne-t-il, c’étaient des contrats sociaux entre deux familles. La mariée avait très peu à dire et l’amour très peu à voir. Les hommes pouvaient être mariés à plusieurs femmes. Ils pouvaient aussi avoir des relations sexuelles extraconjugales, tant que ce n’était pas avec une femme mariée. La femme était vue comme une possession de son mari. C’était autre chose que le mariage romantique du monde moderne. Ils étaient loin du rapport égalitaire d’aujourd’hui.»
Selon lui, il serait très réducteur de présenter la sexualité dans la Bible sans traiter d’amour. Comme aujourd’hui, l’affection et l’attachement existaient dans ce passé lointain. «La Bible contient quelques rares textes évoquant l’attachement amoureux, par exemple entre Rébecca et Isaac, écrit Sébastien Doane. L’amour est sans doute la métaphore la plus exploitée dans la Bible pour exprimer la relation entre Dieu et les humains.»