Le refus du gouvernement du Québec de permettre à la Ville de Québec de bâtir un nouveau quartier sur les champs qui appartenaient aux Sœurs de la Charité à Beauport pose la question de leur vocation agricole. Des groupes de citoyens s’opposent à leur dézonage et aimeraient qu’elles servent de terres nourricières. Patrick Mundler, professeur en développement rural, s’intéresse à l’agriculture en ville.
Agriculture et villes constituent-elles deux mondes séparés?
À l’échelle du monde, l’agriculture urbaine occupe une place importante. Un rapport des Nations unies publié en 1996 détaillait cette présence de cultures végétales, de l’élevage et même de la pêche dans de nombreuses villes, principalement dans les pays en développement. En Occident, en revanche, l’agriculture urbaine a longtemps été vue comme une activité amenée à s’effacer devant la double pression de l’urbanisation et de l’agriculture industrielle. Il existait cependant quelques exceptions, notamment les jardins ouvriers, comme on les qualifiait en Europe. Il s’agissait de parcelles souvent situées sur des sites un peu dégradés, à la limite par exemple des zones industrielles. Ces lopins permettaient à des familles de cultiver leurs propres légumes et d’y installer une petite cabane, c’était leur résidence secondaire. Les pouvoirs publics et les urbanistes portaient alors un regard plutôt critique sur ces espaces peu entretenus et sauvages, dont les abris faisaient penser à des bidonvilles. Les choses changent cependant depuis quelques années. De plus en plus, les communautés demandent à pratiquer l’agriculture urbaine, non seulement pour disposer de légumes, mais aussi avec des objectifs sociaux, éducatifs et de santé. De leur côté, les villes s’y intéressent pour les rôles qu’elle joue dans le maintien de la nature en ville et de l’animation des quartiers.
Pourquoi associer agriculture urbaine et vocation sociale?
Plusieurs communautés considèrent la pratique collective du jardinage comme une réponse à l’isolement, qui est un facteur d’intégration, et un lieu d’apprentissage concernant l’environnement ou l’alimentation. En France, la ville de Ris-Orangis a consacré six hectares pour créer des jardins familiaux au pied des immeubles. Le résultat se révèle très positif et de nombreux maires se montrent aujourd’hui sensibles aux possibilités offertes par ces activités. Mais cela demande un effort politique, puisque ces parcelles rapportent évidemment moins de taxes que des habitations. La densification urbaine a ses limites cependant. La vision d’une ville purement minérale, sans arbres, ne correspond plus au rêve des urbanistes, qui cherchent des espaces de respiration. Des municipalités choisissent, par exemple, de planter dans les parcs existants des légumes ou des arbres fruitiers, que les citoyens peuvent récolter. Les toits et les façades constituent aussi des lieux à végétaliser. Il faut comprendre aussi que de plus en plus de villes réfléchissent à la durabilité de leur système alimentaire. New York, par exemple, multiplie les efforts pour permettre aux habitants de disposer de légumes frais grâce à des marchés fermiers. Le service Espaces verts de la municipalité de Mouans-Sartoux, en France, produit les légumes pour les cafétérias scolaires. Les surplus sont donnés aux banques alimentaires. À Québec, il existe un réseau très actif : le Réseau d’agriculture urbaine de Québec, qui fédère divers groupes investis dans des projets qui associent souvent des objectifs de production, d’éducation, parfois même d’insertion sociale et de protection de l’environnement.
Qu’en est-il de la production commerciale de légumes en ville?
Cela a commencé. L’entreprise Les fermes Lufa livre depuis plusieurs années des légumes produits notamment dans des serres sur des toits d’édifices commerciaux de Montréal. À Québec, l’entreprise Du toit à la table fournit des paniers de juin à octobre, dont les produits sont cultivés en haut d’édifices de grande superficie. Il existe aussi en ville des entreprises qui font pousser des champignons, des pousses de légumes ou qui produisent du miel, toutes des activités économes en surface. On trouve enfin des projets très technologiques avec des fermes dites « verticales », qui peuvent trouver leur place dans des tours de bureaux. Ces fermes peuvent même associer de l’aquaculture dans un cycle fermé, les déjections des poissons alimentant les plantes. Pour le moment, ce sont encore des prototypes et il est trop tôt pour affirmer que ce pourra être rentable à grande échelle. Mais on peut retenir de tout cela que les modèles d’agriculture urbaine sont pluriels et varient énormément.