La vague de maladies pulmonaires liées à l’utilisation de la cigarette électronique observée cet été aux États-Unis inquiète les autorités canadiennes. Il y a quelques jours, le premier ministre québécois, François Legault, a dit réfléchir à des mesures plus sévères concernant le vapotage. Dans son laboratoire, Mathieu Morissette traque l’effet sur le corps humain de respirer un liquide chauffé à haute température. Voici l'avis de ce professeur à la Faculté de médecine et spécialiste de la santé pulmonaire.
Comment expliquer que des centaines d’utilisateurs de cigarettes électroniques souffrent de graves problèmes pulmonaires?
Les données manquent encore pour comprendre quels agents exactement causent ces infections. Depuis quelques mois, les cas rapportés aux États-Unis semblent concerner en majorité des utilisateurs de cigarettes électroniques contenant du THC ou de l’huile de cannabis. Le liquide aurait été acheté sur le marché noir, ce qui ouvre la porte à beaucoup de spéculations. Les fabricants ont pu utiliser toutes sortes de molécules pour couper le liquide vendu afin de baisser le coût de revient. Il faudrait savoir quelles sortes d’agents liquéfiants ou de conservation ont été ajoutés. C’est très facile de commander des ingrédients sur Internet et de composer son propre liquide pour cigarettes électroniques dans son sous-sol, avant de le consommer ou de le vendre à d’autres. D’autre part, on peut aussi s’interroger sur l’action que peuvent avoir sur les poumons les 7000 saveurs offertes sur le marché. Certaines, comme les diacéthyles, peuvent causer des maladies pulmonaires et bien des éléments inconnus subsistent. De plus, la nature huileuse d’ingrédients, comme l’huile de cannabis ou encore la vitamine E et l’huile végétale, peut constituer une barrière physique aux échanges gazeux lorsque l’utilisateur les inhale. Respirer un tel mélange, cela n’a rien de très bon pour les poumons.
Pourquoi la cigarette électronique fait-elle désormais partie du quotidien, alors que les conséquences à long terme du vapotage demeurent un mystère?
C’est justement la racine du problème. Selon moi, la cigarette électronique ne devrait pas être vendue en si grand nombre. Avant de la commercialiser à grande échelle, il aurait fallu connaître davantage ses effets potentiels sur la santé pulmonaire et systémique. Une fois ce travail accompli, Santé Canada aurait pu permettre la vente à des endroits contrôlés et à des fins déterminées. Imaginons, par exemple, une commercialisation qui passe par les pharmacies, comme d’autres produits d’arrêt tabagique. En décidant plutôt de vendre les cigarettes électroniques n’importe où et à n’importe qui, on se retrouve avec un marché en pleine croissance, surtout chez les jeunes. Selon certaines données, qui datent déjà de plus d’un an, entre 15 et 25% des mineurs vapoteraient, une proportion en constante augmentation. Ils ont envie d’essayer ce nouveau produit, qui sent très bon grâce aux nombreuses saveurs offertes, et dernier clou dans le cercueil, la nicotine contenue dans le liquide les rend dépendants. Contrairement à la cigarette, qui nécessite au moins trois à quatre essais avant de l’adopter, le vapotage ne crée pas l’effet négatif provoqué par la fumée. Avec la nicotine, la dépendance au produit se fait donc très vite.
Que peuvent faire les directions de la santé publique pour lutter contre ce phénomène, en particulier chez les jeunes?
Trouver une solution rapide représente un véritable casse-tête. Imaginons quelques scénarios. Si on rend les boutiques de vapotage illégales du jour au lendemain, cela n’aura pas beaucoup d’effet, car les consommateurs peuvent en commander n’importe où sur Internet. Les acheteurs vont se faire livrer leur commande par Postes Canada. Lorsqu’une habitude est installée dans une société et acceptée par elle, il n’y a pas de retour en arrière possible. Par contre, il faudrait pouvoir identifier les ingrédients très précis qui posent problème, afin que les consommateurs sachent quels produits constituent un risque de développer une maladie pulmonaire. On doit donc investir davantage dans la recherche afin d’en connaître davantage sur ces molécules et sur le dosage qui les rend dangereuses, sans oublier leurs effets à long terme. Le gouvernement a également le devoir de mettre en place des campagnes publiques prévenant la population des dangers du vapotage, surtout les jeunes. C’est essentiellement cette catégorie d’utilisateurs qui vapote sans avoir fumé. Ils ont besoin d’avoir des informations précises sur les maladies liées à la cigarette électronique, qui ont un nom désormais: VAPI, pour vaping associated pulmonary illness.