
Que porte-t-on en soi que l'on doit assumer? De quelle manière est-on porteur d'une culture dans un contexte donné? Comment peut-on combattre des éléments qui nous constituent, mais qui nous échappent complètement? Ces questionnements, sur l'identité et sur la responsabilité individuelle, se trouvent au coeur de L'interrogatoire de Salim Belfakir.
«Salim est l'un des trois principaux personnages de mon roman, explique Alain Beaulieu. Ce jeune boulanger de Saint-Malo, à peine sorti de l'adolescence, n'a d'arabe que le nom. C'est tout ce qui le distingue. Il ne porte pas la culture arabe, lui qui est né d'une mère bretonne et d'un père marocain qu'il n'a jamais connu. À la mort de celui-ci, le jeune homme va chercher à connaître la culture de son père en se rendant dans son pays.»
Salim, Éliane, Julien: autant de personnages que l'écrivain réunit par une histoire improbable basée sur autant de ruptures. Dans ce roman, Éliane, assistante juridique à Paris, quitte sa mère pour la Bretagne afin de couper les ponts avec elle. Julien, lui, est policier dans cette région. Une faute professionnelle, qui n'en était pas une, le force à quitter le service. Il s'installera au Québec, près du fleuve Saint-Laurent, dans la région de Portneuf.
«Ces personnages sont en déséquilibre, souligne l'écrivain. Ils traversent une phase de leur vie où ils sont plus fragiles, où tout peut arriver.»
L'interrogatoire de Salim Belfakir a été publié en 2016 aux Éditions Druide. L'intrigue de ce livre de près de 300 pages s'appuie sur de courts chapitres donnant chaque fois la parole à l'un des trois personnages, d'abord Éliane, ensuite Julien et, enfin, Salim. Toujours dans le même ordre. Seul Salim décrit l'histoire au «je». «Mes descriptions sont courtes, indique Alain Beaulieu. Je fonctionne par fines touches qui font en sorte que le lecteur ajoute à l'imaginaire propre au récit. Ainsi, je ne décris pas mes personnages dans le détail afin que le lecteur se fasse sa propre idée.»
De jolies tournures de phrase ponctuent le roman. Mentionnons, au détour des pages, «le chant lointain des cornes de brume» et les «suppliques aiguës» des goélands accompagnant un navire, ainsi que le sommeil qui s'empare de l'héroïne. Le sommeil, est-il écrit, «venait sans s'annoncer, l'emportant sur ses eaux calmes jusqu'aux lueurs du petit matin.»
«Au lycée, raconte l'écrivain, Salim avait deux copains qui voulaient l'entraîner dans des magouilles. Quelques années plus tard, il les rencontre alors qu'ils sont devenus de petits voyous. La police intervient, arrête les trois jeunes et croit, erronément, que Salim est le chef de la bande.»
C'est à 35 ans qu'Alain Beaulieu a publié son premier roman. Un quatorzième, écrit et accepté par l'éditeur, verra le jour en 2018. «Je m'apprête à entrer en écriture pour un quinzième», ajoute-t-il. Pour lui, on devient écrivain par la lecture. «On est tellement happé par ce qu'on lit, dit-il, qu'on aimerait participer à l'aventure de l'écriture.» L'auteur qualifie la littérature de forme d'art unique. «À travers des signes, au moyen de l'encre imprimée sur le papier, il se passe quelque chose entre le lecteur et l'écrivain qui va au-delà de l'espace et du temps, affirme-t-il. C'est un des mystères de l'art. Pourquoi le cerveau humain accepte-t-il le jeu de la littérature et de l'art, soit de tenir pour réel ce que l'on sait inventé?»