
— Marc Robitaille
Quelles caractéristiques différencient les Syriens des autres réfugiés arrivés ces dernières années au Québec?
Il faut surtout ne pas les aborder comme un groupe homogène. Les études que j'ai pu réaliser montrent que les gens peuvent avoir des désaccords entre eux, des animosités. Leurs positionnements idéologiques par rapport au conflit qu'ils ont vécu sont variés; certains vont avoir été influencés par des entités diverses impliquées dans la violence perpétrée. Même arrivés ici, les réfugiés vont donc maintenir une certaine vigilance ou une méfiance envers certains de leurs compatriotes. D'autres facteurs vont également jouer dans leur intégration, comme la classe sociale, l'origine urbaine ou rurale, la religion aussi, chrétienne, musulmane ou autre. Un autre élément important, c'est que l'intégration requiert beaucoup de temps, surtout quand il s'agit de réfugiés, qui portent en eux un lot de traumatismes et de déracinement violent. Cela demande des efforts de la part des nouveaux arrivants, mais aussi de la société d'accueil pour qu'ils se rapprochent. Les employeurs doivent aussi faire preuve d'ouverture, car on sait que les personnes immigrantes font face à de la discrimination à l'embauche, même si leur diplôme est reconnu ou a été obtenu au Québec.
Quelle est la recette gagnante pour faciliter l'intégration des réfugiés?
Cela n'existe pas vraiment. Par contre, on sait que toutes les tentatives faites pour établir des réfugiés dans de très petites localités ont échoué, et ce, depuis l'arrivée des Indochinois dans les années 1970-1980. Plus récemment, l'intégration de réfugiés colombiens, envoyés par exemple à Trois-Pistoles, n'a pas fonctionné, car les gens avaient l'impression de manquer d'appui. Dans les villes de taille moyenne, comme Québec, Sherbrooke ou Hull, les principales destinations des réfugiés pris en charge par le gouvernement, le taux d'insertion à long terme est plus important. Il l'est encore davantage à Montréal, car le principal facteur d'intégration, c'est l'emploi. Plusieurs Bouthanais, qui maîtrisaient partiellement l'anglais, ont quitté la ville de Québec, car le français demeurait un très grand défi pour eux. D'anciens voisins, de la famille établie au Québec, au Canada ou aux États-Unis les ont informés de l'existence d'emplois plus faciles d'accès ailleurs. Pour les Syriens, le français va aussi représenter un défi majeur. À la différence des Bouthanais, leur taux de scolarisation est sans doute plus élevé, ce qui peut accélérer le processus de francisation. Par contre, ils risquent d'arriver dans un état psychologique de stress post-traumatique, ce qui ne facilite pas un apprentissage rapide. Malheureusement, le programme de francisation actuel ne donne pas beaucoup de temps, seulement 3 cours de 11 semaines. C'est insuffisant pour accéder à un métier qui requiert l'usage du français.
Le Canada doit accueillir 25 000 réfugiés d'ici la fin de 2016. A-t-on les moyens de les intégrer?
Absolument. Depuis des décennies, le Canada accueille entre 15 000 et 35 000 réfugiés, chaque année, dont une grande partie au Québec. On a déjà de l'expérience. Par contre, on ne sait pas si les réfugiés syriens s'ajoutent au nombre de ceux qu'on accueille déjà habituellement au Canada. Il faut dire aussi que 250 000 à 280 000 immigrants arrivent en sol canadien chaque année, dont un bon nombre ne maîtrisent ni l'anglais ni le français. En accueillir 25 000 ne semble donc pas si difficile, surtout quand on compare notre réalité de pays très favorisé aux conditions misérables, voire inhumaines, des 4 millions de réfugiés syriens logés dans des camps temporaires au Liban, en Turquie ou en Jordanie. Il faut se rappeler qu'une multitude de petites localités et de citoyens du Canada s'étaient mobilisés entre 1979 et 1980 pour accueillir 70 000 Indochinois, une population qui s'est insérée dans toutes les sphères de la société. Dans le contexte de la guerre froide, on campait le refuge dans la logique de l'opposition entre l'Est et l'Ouest, alors que maintenant les réfugiés syriens proviennent d'un pays qui a extrêmement mauvaise presse en Occident et au Québec. Ils risquent donc de faire face à une réaction de la population bien différente de celle qu'ont connue les Indochinois.