
Benoît Carmichael, professeur au Département d'économique.
Comment expliquer que la baisse du prix du baril du pétrole ait une influence sur le taux directeur de la Banque du Canada?
Il faut se rappeler que, depuis les années 2000, l'exploitation des sables bitumineux a pris une importance grandissante dans notre économie. Le Canada est devenu un gros joueur dans le monde pétrolier, au point que les exportations de gaz et de pétrole représentent désormais environ de 8 à 10% des exportations. L'Alberta constitue désormais un des moteurs de l'économie canadienne, au détriment de l'Ontario, et le dollar canadien s'est transformé en pétrodollar. Autrement dit, la demande pour notre monnaie a augmenté avec les achats de pétrole. Qui se souvient que le dollar canadien avait atteint un creux historique lorsque l'euro est entré sur le marché en 2001? À cette époque, on échangeait un dollar américain pour 62 sous canadiens. Plusieurs pensaient alors que notre dollar était périmé! Avec la hausse de la production des sables bitumineux, le dollar canadien est passé, juste avant la crise financière de 2008, à 1,07 dollar américain. Le pétrole joue donc un rôle majeur dans notre économie. Nos réserves sont aussi importantes que celles d'Arabie Saoudite, sauf qu'il s'agit de sables bitumineux, donc elles sont plus chères à exploiter. Il faut donc que le prix du baril tourne autour de 50 à 70 dollars pour que cette exploitation soit viable pour l'industrie. Les effets de l'effondrement du prix du pétrole à moins de 50$ le baril, comme c'est le cas actuellement, sont donc dramatiques pour l'Alberta.
Quel va être l'effet de cette baisse du taux d'intérêt sur l'économie canadienne?
La baisse du taux d'intérêt a d'abord pour effet de rendre le loyer de l'argent moins cher; les projets d'investissement deviennent donc plus rentables. Au Canada, une grande partie des dépenses d'investissement des entreprises est liée aux ressources naturelles de l'Ouest canadien. En baissant le taux directeur, la Banque du Canada baisse, du même coup, le taux d'intérêt à payer par l'industrie pour financer ses projets, que ce soit dans les sables bitumineux ou le pétrole de schiste en Saskatchewan. Cela permet donc de soutenir ce secteur, même si le prix du pétrole a chuté, une situation qui ne devrait pas durer éternellement. Par ailleurs, la baisse du taux d'intérêt a pour effet de faire diminuer la demande pour le dollar canadien sur le marché mondial, car les actifs au Canada vont moins rapporter. Cette dépréciation de la monnaie a donc un effet direct sur les exportations de produits fabriqués au Canada, qui deviennent alors plus compétitifs. Selon plusieurs analystes, la baisse du taux de change va aider à redémarrer le coeur économique du Québec et de l'Ontario, dont l'industrie manufacturière, qui a souffert de la hausse du dollar.
Pourquoi les banques canadiennes ont-elles attendu avant d'emboîter le pas à la Banque centrale en baissant leurs taux hypothécaires?
Le taux directeur de la Banque du Canada représente le taux auquel les banques canadiennes peuvent emprunter à cette institution si elles le désirent. En pratique, cela influence surtout le taux auquel les banques se prêtent de l'argent entre elles. Ces établissements ont toujours besoin de financement, car les dépôts et les retraits de leurs clients ne coïncident pas toujours. C'est ce que l'on appelle le marché des fonds à un jour, soit des prêts de 24 heures. La baisse du taux directeur a finalement poussé certaines banques à offrir de meilleurs taux hypothécaires cette semaine afin d'attirer de nouveaux clients. Elles n'ont pas immédiatement emboîté le pas à la Banque centrale, car leurs analystes ont pris quelques jours pour évaluer si le prix du pétrole allait rester bas ou non. Bien sûr, le risque, c'est que ce mouvement à la baisse accroisse l'endettement des Canadiens. Au Canada, on estime que la dette représente 1,60$ pour chaque dollar de revenu disponible, dont une bonne partie vient de la dette hypothécaire. Le pari qu'a dû faire la Banque du Canada, c'est qu'il vaut mieux prévenir le risque d'effondrement des investissements des entreprises, plutôt que de s'inquiéter de l'endettement des ménages.