
— Marc Robitaille
Qu'est ce qui vous semble le plus spectaculaire dans cette aventure spatiale?
Ce n'est pas la première fois qu'une sonde passe près d'une comète puisqu'en 1986, l'Agence spatiale européenne avait envoyé Giotto vers Halley. Par contre, on n'avait jamais réussi à faire entrer une sonde en orbite, comme Rosetta l'a fait depuis trois mois. En soi, cela constitue un exploit, car le faible champ de force gravitationnelle de la comète rend l'opération très difficile. L'atterrissage de Philae me stupéfie aussi, car le petit robot ne disposait pas vraiment de moteur. Il s'agissait d'une chute libre entre Rosetta et la comète sur une distance d'environ 30 kilomètres, ce qui a nécessité des calculs très détaillés. Tout atterrissage sur une planète est difficile, mais se poser sur un objet disposant d'un champ gravitationnel aussi faible est fort complexe. Cela a d'ailleurs posé un problème, car le robot a fait un rebond en se posant, avant d'effectuer un mouvement parabolique de deux heures, puis il a fait un deuxième rebond quelques minutes après puisque le système de harpon n'a pas fonctionné. Voilà pourquoi Philae s'est retrouvé à plusieurs centaines de mètres du site d'atterrissage sélectionné, qui bénéficiait, lui, de 7 heures de clarté sur 12, ce qui aurait pu permettre de recharger les piles photovoltaïques. L'ombre où se trouve le robot ne lui permet pas d'être rechargé.
Quelles informations recueillies vous semblent particulièrement pertinentes?
Il y a quelques semaines, la sonde est passée à seulement 6 ou 7 km de la surface de Tchouri, et des images vraiment spectaculaires ont été envoyées sur Terre. C'était fabuleux de voir d'aussi près les grosses roches et les cratères d'impact. Les attentes sont grandes par rapport à l'analyse des données fournies par les dix instruments à bord qui ont fonctionné, foreuse y compris. La majorité des observations ont déjà été envoyées sur Terre, avant que le système d'énergie solaire ne fasse défaut. On espère beaucoup de l'analyse des molécules prébiotiques, qui sont à la base de la vie éventuelle. D'autres informations semblent aussi très intéressantes, par exemple celles sur la composition chimique de la comète. Un instrument a analysé la composition d'une dizaine d'atomes pour mesurer la proportion de ceux-ci qui ont différents isotopes, des éléments chimiques qui partagent le même nombre de protons, mais un nombre différent de neutrons. Cette étude va nous renseigner sur la composition isotopique de la nébuleuse qui a formé le système solaire et sur son évolution. Par exemple, on pourrait savoir si la composition isotopique de l'eau présente sur Terre et celle de la comète sont identiques, car on suppose qu'une grande quantité de notre eau vient d'un bombardement de comètes. Les données recueillies pourraient nous renseigner aussi sur certaines molécules détruites quand la comète laisse échapper des gaz, des molécules indétectables jusqu'à présent avec les télescopes utilisés à très grande distance. .
Cette opération réussie permet-elle à l'Agence spatiale européenne d'avoir l'avantage sur la NASA?
L'Agence européenne est en avance depuis longtemps en matière de comètes. Je pense qu'une partie du succès de Rosetta s'explique par le travail effectué autour de la sonde Giotto en 1986, car les chercheurs d'aujourd'hui profitent des efforts des scientifiques de l'époque. Malgré les problèmes économiques en Europe, les projets de recherche dans ce domaine ont quand même le vent dans les voiles, et l'Agence lance régulièrement des appels d'offres auxquels nous participons avec des collègues européens. Cela s'explique peut-être par le fait qu'un groupe bien organisé appuie les projets de recherche sur les comètes. Aux États-Unis et à la NASA, l'accent semble mis sur Mars, ou sur le télescope spatial James-Webb, auquel contribue l'Agence spatiale canadienne, qui va remplacer Hubble en 2018. Cela ne veut pas dire, cependant, que l'Europe se désintéresse de Mars; ses chercheurs ont aussi envoyé des sondes vers cette planète. Comme chercheur, les découvertes, tant sur les comètes que sur Mars, me passionnent!