
Q Comment s’explique cette hausse des prix?
R Avant tout par une combinaison de facteurs conjoncturels. La situation est tendue sur les marchés depuis qu’il n’y a plus de réserves aussi importantes qu’antérieurement. Par conséquent, tout déséquilibre, tant du côté de l’offre que du côté de la demande, va avoir une conséquence sur les prix. On sait, par exemple, qu’il y a eu des catastrophes climatiques importantes ces derniers mois, notamment des sécheresses en Australie et en Russie, qui vont entraîner une réduction importante de l’approvisionnement en blé puisque les Russes ont bloqué les exportations. Ces pays sont de gros producteurs de céréales et jouent un rôle mondial important. Il faut aussi rajouter les cas du Pakistan, où il y a eu des inondations l’an dernier, et de l’Inde où la mousson a été moins abondante que d’habitude lors de la dernière saison. Ces pays, qui étaient relativement autosuffisants, vont exercer une demande accrue sur les marchés internationaux. Parmi les autres facteurs dont il faut tenir compte, il y a aussi l’utilisation de maïs pour produire de l’éthanol. Les Américains ont annoncé qu’ils vont exiger que l’essence vendue contienne 15 % d’éthanol ou permettre d’aller jusqu’à ce pourcentage.
Q Les instances internationales, comme les ministres des finances du G20 qui se réunissent les 18 et 19 février à Paris, peuvent-elles freiner cette flambée des prix?
R Toute mesure visant à freiner la spéculation relève des capacités législatives réglementaires de chaque organisation, mais il peut y avoir des résistances par rapport à ça. Un des facteurs expliquant l’augmentation du prix des céréales est d’ordre spéculatif. Depuis deux ou trois ans, les gestionnaires de fonds spéculatifs, de fonds de placement ou de fonds de retraite, jusqu’ici peu présents sur le marché agroalimentaire, font des achats dans ce domaine. Ils travaillent exclusivement sur la variation du prix et tentent de le faire monter. En cinq ans, le nombre de transactions, comparativement au volume de marchandises offert, a été multiplié par 4 ou 5 sur le marché de Chicago, une des grandes bourses de denrées. C’est clair qu’il ne s’agit pas d’acheteurs qui ont l’intention de prendre livraison d’une tonne de grains…
Q Comment agir alors?
R À court terme, il faut surtout mettre à la disposition de la population des stocks qui sont entre les mains des États. La situation n’a rien d’encourageant. L’augmentation de la population mondiale exerce aussi une pression sur la demande, comme l’Inde, jusque-là à peu près autosuffisante en ce qui a trait aux céréales de base comme le blé ou le riz, qui compte maintenant près de 1,1 milliard d’habitants et qui utilise déjà toutes ses terres cultivables. Si on a réussi à nourrir une population croissante au cours des 30 ou 40 dernières années, c’est surtout grâce à de meilleurs rendements. Actuellement, les augmentations de rendement sont bien moindres qu’elles ne l’étaient dans les années 1970 ou 1980, car il y a une limite au rythme d’amélioration des semences. Par ailleurs, l’accès aux engrais peut-être limité par l’augmentation du prix du pétrole nécessaire pour leur fabrication. Il reste des possibilités en Afrique où les rendements sont extrêmement bas, mais où l’on se heurte à beaucoup de problèmes de droits de propriété. S’ils ne savent pas à qui appartient la terre, les investisseurs hésitent à investir pour améliorer l’irrigation ou la qualité de la terre et la productivité. Malgré tout, on serait capable de produire ce dont a besoin la population mondiale pour se nourrir. Encore faut-il que les populations aient les revenus nécessaires pour acheter la nourriture. Or, dans certaines régions, les gens sont dans une situation d’extrême pauvreté. C’est clair que, pour se nourrir et nourrir leurs enfants, ces populations vont être prêtes à poser des gestes qu’elles n’auraient pas posés autrement.
Propos recueillis par Pascale Guéricolas