
Philippe Le Prestre
Q La rencontre de Cancún va-t-elle pouvoir dépasser le clivage entre les pays développés réticents à financer la lutte aux GES et les pays émergents qui refusent de limiter leur industrialisation au nom de la croissance?
R Je ne suis pas sûr que Cancún va permettre de surmonter cet obstacle. S’y ajoutent aussi les clivages entre pays industrialisés, ainsi que ceux entre pays émergents et pays en développement. Toutes ces oppositions existent dans le contexte du Protocole de Kyoto. Par contre, elles pourraient s’estomper si on se dirige, comme je le crois, vers une coopération internationale complètement différente des accords précédents. On pourrait imaginer un accord international prenant en compte la mesure des efforts et un financement concret, dans lequel les États fixent eux-mêmes leurs cibles et s’y engagent, plutôt qu’un engagement global fixé par la communauté internationale. Les partisans inconditionnels du Protocole de Kyoto trouveront que cela ne va pas assez vite, sauf que le modèle de gouvernance du climat qu’on a essayé de mettre en place a été un échec. À mon avis, on se dirige vers des accords régionaux où des groupes de pays en Amérique du Nord, en Asie et en Europe se mettent d’accord sur un ensemble de mesures et d’objectifs communs. L’Union européenne pourrait, par exemple, continuer avec le modèle du Protocole de Kyoto, tandis que d’autres régions choisiraient un marché d’échanges d’émissions pour réduire leurs GES, avec des cibles vérifiables.
Q Le Protocole de Kyoto avait le mérite de prévoir une certaine équité entre les pays…
R Les questions à savoir quels pays devraient réduire davantage et plus vite les GES se posent de toute façon, et elles n’ont pas été réglées par Kyoto. En fait, ce protocole a été bâti sur le modèle du Protocole de Montréal pour éliminer les substances qui causent l’appauvrissement de la couche d’ozone considéré comme un succès par les négociateurs, alors que les changements climatiques sont beaucoup plus complexes. De nombreux pays sont engagés et il n’y a pas de solution technique claire; les modes de vie et de consommation sont remis en cause… Je pense que la gouvernance du climat va changer. L’ONU va continuer à en coordonner une partie, mais d’autres initiatives seront régionales. Les États-Unis pourraient faire pression sur le Canada pour qu’il réduise ses émissions dues aux sables bitumineux, ce qui pourrait être plus efficace qu’attendre après un accord international. Même si les républicains et la crise économique ne laissent pas beaucoup de marge de manœuvre à Barack Obama, les choses bougent sur le plan subétatique. Les villes adoptent de nouvelles formes d’urbanisme et d’utilisation des transports, la Californie va de l’avant dans ses exigences d’efficacité énergétique, les États coopèrent. Finalement, il se prend peut-être davantage de mesures pour le climat sur les plans régional et local qu’à Cancún.
Q Le Canada, dont les émissions de GES ne cessent d’augmenter, devrait-il changer de cible pour s’attaquer à la réduction des polluants atmosphériques qui tuent des centaines de personnes chaque année au pays?
R Les conservateurs tenaient ce discours au début de leur mandat, mais ils n’ont pas fait grand-chose non plus dans ce dossier. Le contexte scientifique montre que les changements climatiques menacent de bouleverser l’agriculture, les modes de vie, la biodiversité. Il devient donc difficile de les ignorer. L’autre problème au Canada, c’est qu’une grande partie de notre pollution atmosphérique vient des États-Unis: nous sommes donc dépendants de la politique américaine. Ce qui complexifie encore les choses, c’est que la pollution atmosphérique et les changements climatiques sont liés. Par exemple, si vous réduisez les aérosols et les poussières dans l’atmosphère, autrement dit si vous dépolluez trop, vous augmentez la température dans un premier temps. La solution à un problème d’environnement en aggrave donc un autre...
Propos recueillis par Pascale Guéricolas