
Q Pourquoi avoir proposé ce changement dans la représentation électorale?
R Il faut voir les choses globalement, car le Québec n’est pas seul dans la fédération. Avant la Confédération, la représentation des sièges entre le Québec et l’Ontario n’était pas proportionnelle, le Québec étant très favorisé. C’était une des raisons pour laquelle on a cherché à fonder un autre régime politique. Dès la Confédération, une des règles établies voulait que la répartition des sièges à la Chambre des communes soit proportionnelle à la population. À l’origine, le Québec formait 36 % de la population canadienne. Au début des années cinquante, c’était 29 %, car de nouvelles provinces avaient été admises et des immigrants étaient arrivés. Depuis, le poids de la population québécoise au sein du Canada a diminué, pour s'établir à 22 % actuellement. D’abord, on est passé d’un taux de natalité très élevé par rapport à celui des autres provinces à un taux beaucoup plus bas. Second facteur, le solde migratoire interprovincial est négatif. Chaque année sans interruption depuis 1962, plus de gens quittent la province que ceux qui arrivent. Enfin, troisième facteur, seulement 18 % des immigrants qui viennent s’établir au Canada choisissent le Québec.
Q Que propose le projet de loi?
R La formule prévoit une augmentation plus considérable du nombre de sièges, ce qui fait que les sept provinces démographiquement déclinantes vont perdre relativement de poids politique, même si elles gardent leurs députés. Jusqu’à maintenant, l’Ontario, l’Alberta, et la Colombie-Britannique, dont la population augmente plus vite que dans le reste du pays, regroupent 61 % des Canadiens, mais n’ont que 55 % des sièges à la Chambre des communes. Elles sont donc sous-représentées, ce qui est le nœud du problème, car les sept autres provinces ont toutes un peu plus de sièges que la pure mathématique leur permettrait d’avoir. C’est un phénomène dû à la «clause sénatoriale» qui interdit d’avoir moins de députés que de sénateurs, ce qui permet à l’Île-du-Prince-Édouard d’avoir quatre députés plutôt qu’un, et au fait qu’on ne peut perdre de sièges d’un recensement à l’autre. La situation actuelle était tolérée jusque-là en partie parce que l’Alberta et la Colombie-Britannique étaient peu présentes au sein du gouvernement, ce qui a changé avec le gouvernement de Stephen Harper.
Q Certains, notamment au Bloc québécois, soulignent l’apparente contradiction entre la motion reconnaissant la nation québécoise et cette réforme conduisant à une diminution du poids politique…
R Le Québec, avec 22,7 % de la population canadienne, aura 22,2 % des sièges, ce qui est très désagréable du point de vue québécois. Le sens de la motion a été un peu détourné. Il n’a jamais été entendu que le fait d’être une société distincte donne le droit d’obtenir des privilèges de représentation. J’ai étudié une dizaine de fédérations démocratiques et je n’ai trouvé aucun cas. Si vous prenez par exemple l’Espagne, qui reconnaît la nation catalane, celle-ci n’est pas privilégiée à l’intérieur du congrès des députés, elle est même sous-représentée. En Belgique, de la même façon, les représentants sont répartis en fonction de la population des provinces, et les mots «Wallon» ou «Flamand» n’interviennent pas dans cette opération. Autres cas: la Suisse, où les francophones et le canton italophone ne disposent d’aucun privilège, et l’Écosse, pourtant reconnue comme une nation. J’ai l’impression que le Bloc s’imagine des choses qui n’existent que dans la tête de ses dirigeants. Cette affaire-là ne tient pas debout. La différence culturelle reconnue ne signifie pas qu’on accepte de la considérer comme une espèce supérieure. C’est la meilleure façon de faire enrager ceux qui n’appartiennent pas à la nation privilégiée. C’est à se demander si on ne fait pas exprès de susciter ce genre de réaction.
Propos recueillis par Pascale Guéricolas