C’est ce constat d’une forme de conciliation établie entre deux cultures que fait Isabelle Roy, dans son mémoire de maîtrise ayant pour titre : «Anthropologie historique de la culture politique : le cas du rituel de la récitation de la prière au Parlement du Québec, de 1793 à 1976.» Son étude a été dirigée par Martin Pâquet, professeur au Département d’histoire. «En reprenant ce rituel issu de la tradition parlementaire anglaise, explique Isabelle Roy, les Canadiens montraient leur allégeance au chef de l’Église d’Angleterre, espérant se prévaloir en même temps de la clémence britannique et ainsi permettre la survivance du catholicisme dans la colonie. De leur côté, les Britanniques misaient sur l’appartenance à la chrétienté et sur l’allégeance à la Couronne britannique comme facteurs de cohésion sociale. Seule la religion chrétienne était tolérée, à l’exclusion de toute autre.»
La liberté de chacun
En 1883, le Conseil législatif de la province de Québec introduit une autre prière pour débuter la séance parlementaire. Cette fois, aucune référence à un quelconque attachement à la Couronne britannique n’y est faite dans ce texte composé par Mgr Elzéar Taschereau. La patrie dont il est question dans la prière réfère directement au Québec, une entité qui se présente comme étant autonome du Canada et de la Grande-Bretagne. «Le texte de la prière du Québec se permet même de faire du catholicisme et de la langue française des marqueurs identitaires proposant que l’idée que le Parlement québécois est le lieu de représentation d’un microcosme ethnique culturel et distinct», souligne Isabelle Roy. En 1922, l’Assemblée législative du Québec adopte cette prière qui aura cours jusqu’en 1972, moment où un moment de recueillement sera proposé, et ce, «dans un respect d’ouverture, de tolérance et d’intégration des étrangers».
Le 15 décembre 1976, sous le gouvernement de René Lévesque, le président de l’Assemblée Clément Richard, met officiellement un terme à la tradition, proposant de remplacer la prière par un moment de recueillement, «par respect pour les membres de cette Assemblée, qui ne sont pas tous de la même domination religieuse…» Si quelques députés ruent dans les brancards à la suite de cette décision, l’opinion publique, elle, semble plutôt indifférente à la disparition du religieux dans la tradition parlementaire. Récemment, le chef du Parti Québécois André Boisclair manifestait le désir que le crucifix soit enlevé des murs de l’Assemblée nationale. «Il ne faut pas voir dans la sécularisation des institutions étatiques la fin du catholicisme au Québec, assure Isabelle Roy. Avec l’intégration d’immigrants de culture et de croyances religieuses diverses, une nouvelle communauté sociale se tisse, où l’interculturalité devient une caractéristique identitaire importante.»