Si le pire devait arriver et que le nombre de personnes atteintes de COVID-19 nécessitant une ventilation mécanique dépassait le nombre de respirateurs disponibles, des comités établiront quels patients devront être branchés en priorité. C'est aux membres de ces comités chargés de cette terrible décision que Simon Duchesne pense depuis quelques jours.
«Personne ici n'a eu à faire face à une telle éventualité. Nous apprenons en contexte de crise et c'est beaucoup demander dans le feu de l'action. Il y a un manque de données probantes sur lesquelles on pourrait appuyer des décisions comme celle-là. Soyons bien clairs, l'outil que nous développons ne décidera pas qui vit ou qui meurt. Il a pour but de fournir de nouvelles informations qui pourraient aider les comités à prendre ces décisions», précise le professeur de la Faculté de médecine et chercheur au Centre de recherche CERVO du CIUSSS de la Capitale-Nationale.
Ingénieur biomédical de formation, le professeur Duchesne a acquis une expertise dans l'art de faire parler les images médicales, notamment les scans de cerveau. La pandémie l'a conduit à transposer cette expertise aux problèmes qui se posent maintenant dans les unités de soins intensifs. «Nous croyons que les radiographies pulmonaires contiennent des informations qui peuvent nous renseigner sur la façon dont évoluera la COVID-19 chez un patient», avance le chercheur.
L'outil sur lequel il travaille avec ses collaborateurs a deux objectifs. Le premier: prédire dès l'admission à l'urgence ou à l'unité de soins intensifs si un patient aura besoin de ventilation mécanique dans les 24 heures qui suivent. «On sait maintenant que l'état d'un patient atteint de COVID-19 peut dégénérer très rapidement. Or, plus la ventilation commence tôt, meilleures sont les chances de survie. On pourrait donc agir plus rapidement.»
Le second objectif: établir dans quels cas la ventilation mécanique a le plus de chance de succès. «S'il y a pénurie de respirateurs artificiels, on prévoit les attribuer en priorité aux patients qui ont le plus de chance de s'en tirer. Ça peut sembler simple, mais ça ne l'est pas, souligne Simon Duchesne. Il existe peu de données probantes sur les pronostics de succès d'une intervention de ventilation mécanique et ces données n'ont pas été calibrées pour la COVID-19. Notre outil vient pallier ce manque.»
225 000 radiographies pulmonaires
Pour créer cet algorithme, le professeur Duchesne et ses collaborateurs ont d'abord utilisé 225 000 radiographies de personnes souffrant d'une pneumonie causée par une infection d'origine bactérienne ou virale. «L'algorithme a "appris" à associer des particularités de ces images de poumon à la description qui en a été faite par des experts en radiologie», résume-t-il.
L'algorithme a été mis à l'essai sur une centaine de radiographies pulmonaires, provenant du domaine public, qui montrent des patients atteints de COVID-19. «Notre système sait maintenant quelles particularités d'une radiographie pulmonaire il doit surveiller pour détecter une pneumonie chez une personne atteinte de COVID-19. Les particularités qui détermineront le degré de succès d'une ventilation sont probablement si subtiles qu'elles échapperaient à l’œil nu. Nous espérons que l'algorithme pourra les détecter», explique le professeur Duchesne.
La prochaine étape, qui sera réalisée de concert avec sept grands centres hospitaliers du Québec, consiste à combiner les informations tirées des radiographies pulmonaires et les données cliniques, les signes vitaux, les résultats de tests de laboratoire, les interventions et leurs résultats chez les premières centaines de patients québécois qui ont eu la COVID-19. «Certains de ces patients ont été placés sous ventilation mécanique et d'autres pas. Certains ont survécu, alors que d'autres sont malheureusement décédés. Toutes ces situations vont permettre d'établir notre algorithme de prédiction. Plus nous aurons de cas, plus nous pourrons l'améliorer.»
Simon Duchesne est en communication avec les responsables de la santé publique et de la sécurité publique qui doivent rédiger le guide auquel se référeront les comités advenant une pénurie de respirateurs artificiels. Il prévoit que son outil sera prêt d'ici une ou deux semaines, au moment où le nombre d'hospitalisations atteindra un pic au Québec. «Idéalement, il y aura suffisamment de respirateurs artificiels pour tous les malades qui en auront besoin et nous n'aurons jamais à prendre de décisions aussi cruelles», espère-t-il.