Un moment charnière de son développement. La formule n’est certes pas surfaite lorsqu’on l’applique au dossier du transport dans la région métropolitaine de Québec. Depuis quelques années, en effet, la capitale est face à un important projet d’infrastructure, le réseau structurant de transport en commun basé sur le tramway, auquel est venu s’ajouter celui d’un lien sous-fluvial autoroutier reliant les centres-villes de Québec, sur la rive nord du fleuve, et de Lévis, sur la rive sud.
Dans un récent essai de 222 pages, publié chez Septentrion et intitulé Comment survivre aux controverses sur le transport à Québec?, trois chercheurs de l’Université Laval tentent, à l’aide de données fiables, d’apporter une meilleure compréhension des implications de ces deux projets majeurs qui, par ailleurs, ne laissent personne indifférent. Ce sont Jean Dubé, professeur titulaire à l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional, Jean Mercier, professeur associé au Département de science politique et Emiliano Scanu, chargé de cours au Département de sociologie.
«Nous avons voulu faire la synthèse la plus objective possible de ce qui avait été dit sur les deux projets afin que le lecteur comprenne mieux les enjeux de mobilité dans la capitale, et ce, depuis 2009, explique le professeur Dubé. Dans notre livre, nous montrons que ces projets sont fondamentalement opposés. La population souhaite améliorer les transports en commun, ce qui est une bonne chose du point de vue environnemental. Mais pour que les automobilistes basculent dans les transports collectifs, cela prendra des incitatifs.»
Pour rappel, environ 800 000 personnes habitent la région métropolitaine de Québec. Axée sur le tout-à-l’auto, elle est desservie par un réseau autoroutier surdimensionné. Les statistiques indiquent que plus des trois quarts de la population utilisent l’automobile, alors que moins d’un dixième prend régulièrement l’autobus. La voiture est considérée comme un moyen de transport très efficace et rapide. Cela dit, la congestion routière constitue une réalité dans la capitale.
Pour ajouter au débat, rappelons également que le gouvernement du Québec a proposé, en mai dernier, de réunir les deux projets en un seul grand projet: le Réseau express de la capitale.
Un reflet de ce qui se passe ailleurs
Selon le professeur Mercier, la situation du transport urbain dans la région métropolitaine de Québec n’est pas différente de celle qui prévaut dans les autres villes du monde développé. «Elle est peut-être encore plus intense, dit-il, du fait qu’il y a deux projets différents et opposés, un tramway et un lien autoroutier, qui arrivent en même temps.»
Trois facteurs caractérisent la ville développée du 21e siècle. Ce sont l’extension des banlieues amenée par l’urbanisation croissante, l’hypermobilité de nos sociétés et la question des gaz à effet de serre. Ceux émis par les véhicules sont les principaux responsables du dérèglement du climat.
Emiliano Scano signe un chapitre sur l’évolution et les allers-retours de chacun des grands projets de transport de la région de Québec entre 2009 et 2021.
«Les projets de transport durable ont été beaucoup critiqués sur les réseaux sociaux et à la radio, rappelle Jean Dubé. Or, la littérature scientifique est claire: l’augmentation de l’offre autoroutière n’a jamais réglé les problèmes de congestion.»
Dans l'un des chapitres du livre, ce dernier se penche plus particulièrement sur les dimensions économique et géographique des projets de troisième lien à avoir été présentés. Il y va d’une proposition différente.
«Je propose, dit-il, un lien direct entre les deux villes uniquement réservé au transport en commun. Ce lien pourrait prendre la forme d’un pont ou d’un tunnel sous-fluvial. Le coût de construction serait inférieur à celui d’une autoroute à six voies et les autobus réduiraient substantiellement la facture de carburant. Soyons optimistes. Lier les deux centres-villes représenterait probablement un incitatif très fort pour inciter les conducteurs à basculer dans le transport en commun. Je dirais qu’environ 20% d’entre eux pourraient le faire. De plus, en enlevant des conducteurs de la route, on vient de régler une partie de la congestion.»
Selon le professeur Dubé, cette solution apparaît comme la moins mauvaise des solutions proposées. «Beaucoup d’adeptes de la voiture ont entre 40 et 55 ans, souligne-t-il. Ce ne sont pas eux qui sont susceptibles d’utiliser cette infrastructure à long terme. Ma proposition vise plutôt à influencer les plus jeunes. Je souhaite qu’ils soient un peu plus sensibilisés au transport en commun, que cela soit une option plus naturelle pour eux.»
En conclusion, les auteurs tentent d’entrevoir la suite des choses, en faisant place entre autres aux événements plus récents que constituent la pandémie, le télétravail, les défis des finances publiques, le retrait prochain de la vie publique du maire Labeaume – le champion du réseau structurant de transport en commun – et les nouvelles perspectives venant de la fusion des deux grands projets de transport de la région au sein du Réseau express de la capitale.
«Le contexte pandémique a amené une baisse d’intérêt et de la popularité des deux grands projets», indique Jean Dubé.
Ce dernier rappelle qu’on se déplace quand même malgré la pandémie. «On le fait de manière différente, ajoute-t-il, de façon plus locale. Je vois encore des voitures stationnées l’une derrière l’autre, je vois aussi de la congestion routière malgré le télétravail intense. De toute façon, on parle du télétravail depuis les années 2000. Ce phénomène était déjà là. Dans ce dossier, la pandémie aura été un accélérateur de tendance.»