Il y aurait près de 170 000 bœufs musqués dans le monde, mais l’avenir de cette espèce est néanmoins incertain. En effet, plusieurs populations de cet herbivore arctique sont en déclin et on ignore encore comment les autres répondront aux changements climatiques, aux maladies et aux activités humaines qui risquent de les affecter au cours des prochaines décennies. Voilà le constat auquel arrive un groupe international de 29 experts, dont Steeve Côté de l'Université Laval, dans un article qui vient de paraître dans la revue Ambio.
L'aire de répartition du bœuf musqué s'étend de la toundra forestière jusqu'aux steppes désertiques du Haut-Arctique. Ses effectifs sont morcelés en 55 populations isolées, réparties dans 7 pays. Des changements environnementaux importants sont prévus dans cette région du monde et il y a lieu de se demander si bœuf musqué, une espèce adaptée à des conditions de froid extrême, aura la plasticité requise pour les affronter.
«Pour répondre à cette question, il fallait dresser un premier portrait de la situation mondiale de cette espèce et c’est ce nous avons fait» explique Steeve Côté, professeur au Département de biologie, chercheur au Centre d'études nordiques et membre de MOXNET, un réseau international de chercheurs qui étudient le bœuf musqué.
L’immensité et l’inaccessibilité des régions habitées par le bœuf musqué combinées au manque d'uniformité des méthodes d'inventaire font en sorte que les données sur l’abondance de cette espèce sont loin d'être idéales. Malgré tout, voici le portrait que les chercheurs sont parvenus à brosser:
On dénombre 169 500 bœufs musqués dans le monde
Ils se trouvent principalement au Canada (64%), au Groenland (23%) et en Russie (9%)
Les effectifs ont augmenté de 35 000 individus depuis 2013
Trois populations sont en croissance, neuf sont stables, six sont en déclin et la situation est indéterminée pour 17 populations
Parmi les populations en déclin se trouvent celles qui vivent sur l’île Banks et l’île Victoria, au Canada. En moins de 20 ans, ces deux populations, qui comptaient parmi les plus florissantes au monde, ont perdu 63 000 têtes. La cause probable de ce crash est une épidémie causée par la bactérie Erysipelothrix rhusiopathiae, souligne le professeur Côté. On croit que ce pathogène était présent dans la population et qu'il a explosé en raison des densités élevées de bœufs musqués et d'un affaiblissement de leur système immunitaire.
«Le portrait global est plutôt rassurant, mais comme nous n'avons pas de données pour évaluer les tendances démographiques récentes de près du tiers des populations, il subsiste beaucoup d'incertitude. La situation de l'espèce pourrait changer rapidement, comme on l'a vu sur les îles Banks et Victoria. C'est pourquoi il faudrait effectuer des inventaires réguliers de chaque population et utiliser des méthodes uniformes de recensement afin de faciliter les comparaisons.»
Deux populations introduites au Québec
Au fil des siècles, les baisses récurrentes des effectifs de chaque population de bœuf musqué ont fait en sorte que chacune d'elles s'est reconstituée à partir d'un nombre restreint d'individus. Le même constat s'impose pour les populations issues de relocalisation (leurs effectifs constituent près de 30% de la population totale). De plus, il y aurait peu ou pas d'échanges génétiques entre les populations. Le résultat: le bœuf musqué a une très faible diversité génétique.
Comment cet animal typiquement arctique répondra-t-il au réchauffement climatique ainsi qu'aux maladies et aux parasites venus du Sud? Les deux populations de bœuf musqué du Québec apportent une partie de la réponse, estime le professeur Côté. Rappelons qu'en 1967, une quinzaine de jeunes capturés sur l’île Ellesmere au Nunavut ont été installés sur une ferme d'élevage de Kuujjuaq dans le but de faire l'exploitation de leur laine. Le projet a été abandonné et une cinquantaine de bœufs ont été libérés dans la nature entre 1973 et 1983.
Leurs descendants forment maintenant les deux populations présentes au Nunavik. La première se trouve en Ungava et elle compte environ 3000 têtes. L'autre se trouve du côté de la baie d'Hudson et un premier inventaire sera réalisé au cours des prochains jours par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.
«Ces animaux se sont bien acclimatés à un environnement qui se trouve plusieurs centaines de kilomètres plus au sud que leur habitat d'origine, constate Steeve Côté. La nourriture ne constitue pas un problème. Ce sont des machines capables d'exploiter des plantes de très faible qualité. Par contre, la température est plus préoccupante parce que ces animaux sont très sensibles à la chaleur. D'ailleurs, on ne les capture pas lorsqu'il fait trop chaud parce qu'on ne veut pas provoquer d'hyperthermie. Pour un bœuf musqué, trop chaud, c'est lorsque la température dépasse -5 degrés Celsius.»
Depuis 2017, l'équipe du professeur Côté étudie les deux populations du Nunavik pour documenter le taux de survie et de reproduction de ces animaux. Les travaux visent aussi à établir dans quelle mesure le bœuf musqué risque de devenir un compétiteur sérieux pour le caribou.