La pandémie de COVID-19 a entravé nos déplacements pendant la dernière année, mais d'ici peu cette sédentarité forcée sera du passé pour nous. Les ongulés migrateurs n'ont pas cette chance. Depuis plusieurs décennies, les obstacles érigés par l'activité humaine se multiplient sur les routes qu'ils empruntent pour transiter entre les habitats saisonniers essentiels à leur survie. Au point où certaines routes migratoires sont disparues et d'autres sont menacées de subir le même sort.
Dans l'espoir de favoriser une prise de conscience du problème et un revirement de la situation, un regroupement de 92 chercheurs de 25 pays vient de lancer le projet international Global Initiative for Ungulate Migration. «L'idée est de mettre en commun des données de suivi d'ongulés migrateurs et de réaliser une cartographie détaillée de leurs déplacements et de leurs corridors migratoires. L'atlas qui en résultera permettra aux gestionnaires du territoire d'identifier les menaces actuelles et futures aux migrations de ces espèces et d'adopter des mesures pour assurer la pérennité de ces routes migratoires», explique l'un des chercheurs associés à ce projet, Steeve Côté, du Département de biologie et du Centre d'études nordiques de l'Université Laval.
Les 10 espèces qui se retrouveront dans la première version de cet atlas sont l'éléphant d'Afrique, le caribou, la gazelle, le guanaco, l'hémione, le cerf mulet, l'orignal, le cob de Buffon, le gnou bleu et le zèbre. «D'autres espèces, notamment le cerf de Virginie, s'ajouteront par la suite, précise le professeur Côté. Éventuellement, on souhaite y inclure tous les ongulés migrateurs de la planète.» Les détails du projet sont présentés dans un article du magazine Science.
Étonnamment, les migrations des ongulés sauvages n'ont pas encore livré tous leurs secrets. «On apprend continuellement de nouvelles choses sur ces migrations, souligne le chercheur. Récemment, on a découvert que des zèbres migraient sur une distance de 500km entre la Namibie et le Botswana, ce qui constitue un nouveau record de distance pour cette espèce.»
La cartographie imprécise et incomplète de ces corridors migratoires explique, en partie du moins, comment il se fait que des routes, des voies ferrées, des oléoducs ou des clôtures bloquent ou entravent les migrations de nombreuses espèces d'ongulés. «Ces animaux ont une certaine plasticité comportementale qui leur permet de changer de routes migratoires, mais il faut tout de même qu'un corridor suffisamment large subsiste pour qu'ils puissent le faire, ce qui n'est pas toujours le cas, précise le professeur Côté. C'est ce qui explique pourquoi certaines migrations ne peuvent plus avoir lieu.»
Les données sur le caribou migrateur que l'équipe du professeur Côté a amassées depuis 2009 dans le cadre du projet Caribou Ungava se retrouveront dans l'atlas. Au cours des prochaines années, des données provenant de travaux que le chercheur mène sur les orignaux et sur les cerfs de Virginie de l'île d'Anticosti s'y ajouteront. Elles seront intégrées à un système d'information géographique grâce auquel il sera possible de déterminer si un projet d'infrastructure pose un conflit d'usage avec les routes utilisées par des ongulés migrateurs.
«Les corridors de migration posent un défi particulier sur le plan de la conservation, constate Steeve Côté. Ce sont des ponts utilisés temporairement par les ongulés pour transiter entre des habitats essentiels. Parce qu'ils ne sont utilisés que pendant une courte période chaque année, il est tentant pour les développeurs de vouloir en faire autre chose. Pour assurer la survie des ongulés migrateurs, il faut non seulement protéger les habitats essentiels à chaque espèce, mais il faut aussi assurer la pérennité des corridors qui les relient.»