Tout a commencé en 2010 dans les locaux du Bureau du Nionwentsïo de la Nation huronne-wendat, à Wendake. L'équipe de recherche supervisée par Jean-François Richard, anthropologue et diplômé de l'Université Laval, s'affairait à trouver dans les archives des indices et des traces de vie de leurs ancêtres sur un territoire donné…
«Notre conseil de bande, c'est comme une mini-ville. Ici, nous sommes au Bureau du Nionwentsïo, qui correspond au bureau territorial de ce conseil, explique Louis Lesage, directeur du Bureau. Chaque année, nous recevons plus de 300 demandes de consultation sur toutes sortes de projets, ce qui signifie que nous pouvons être consultés tout autant au sujet de l'utilisation du territoire, de projets forestiers ou fauniques que de dossiers qui peuvent concerner nos droits.» Chaque demande passe sous la loupe de cette équipe multidisplinaire, notamment composée d'historiens, de biologistes, d'ingénieurs forestiers, de géomaticiens et d'avocats spécialisés en droit autochtone.
«Dans ce cas-ci, nous avions été approchés dans le cadre d'un projet de coupes forestières dans le secteur du lac à Moïse, situé dans la réserve faunique des Laurentides», explique l'anthropologue Jean-François Richard. Au moment de la demande, des compagnies forestières étaient présentes et s'apprêtaient à effectuer des coupes. Or, nos recherches réalisées depuis une dizaine d'années sur ce territoire, basées sur des écrits et sur la tradition orale, nous révélaient que ce secteur était non seulement vierge — c'est-à-dire qu'il n'avait jamais subi de coupes forestières à ce jour — mais qu'il représentait aussi un patrimoine archéologique historique, voire une valeur sacrée et spirituelle pour la Nation huronne-wendat. Bref, une valeur patrimoniale inestimable. Il nous fallait donc agir rapidement pour protéger ce territoire.»
C'est ainsi que la Nation a décidé d'amorcer son projet d'aire protégée Yaniennonde (là où l'on cueille des plantes médicinales) du secteur du lac à Moïse. «La tâche n'allait pas être facile, poursuit Louis Lesage, car, aux yeux du gouvernement, rien ne prouvait que cette zone avait, sur les plans biologique et forestier, une valeur suffisamment significative pour en faire une aire protégée. Par conséquent, nous devions élargir nos recherches et augmenter nos preuves.»
C'est alors que survient l'Université Laval dans cette histoire… En 2013, une alliance historique est signée entre la Nation huronne-wendat et l'Université. L'entente vise principalement à officialiser les relations qui unissent les deux communautés et à accroître l'échange de connaissances, par exemple par des projets de recherche communs dans divers domaines, dont notamment en archéologie. Relativement au projet d'aire protégée du secteur du lac à Moïse, les deux partenaires, d'un commun accord, décident de s'investir et conviennent qu'une École d'été en archéologie, chapeautée par la Formation continue de l'Université Laval, aura lieu à l'été 2016. Grâce aux fouilles qui seront réalisées, la Nation espère qu'on confirmera plus que jamais que ce territoire détient une valeur patrimoniale inestimable pour la Nation huronne-wendat et qu'il doit sans faute être protégé.
Dix ans de recherche, puis des découvertes!
Dès 2013, l'équipe de recherche de Jean-François Richard met donc les bouchées doubles. Les nombreuses recherches sur le terrain et discussions avec les aînés de la Nation viennent confirmer, mais de façon plus importante, ce qui a déjà été établi: le secteur du lac à Moïse a bel et bien été occupé par la Nation huronne-wendat et il contiendrait des vestiges archéologiques probants. De plus, des chercheurs de la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique confirmeront plus tard que ce secteur vierge présente aussi une valeur sur le plan forestier.
Lors des recherches menées par le Bureau du Nionwentsïo, une découverte intéressante a lieu, soit celle de la copie officielle, dans les archives britanniques, d'une très ancienne carte du territoire couvrant notamment le secteur du lac à Moïse, produite à l'origine sur de l'écorce de bouleau par le grand chef huron-wendat Nicolas Vincent Tsawenhohi (1769-1844). L'exactitude de cette carte est frappante: le réseau hydrographique correspondant à plus de 95% à la réalité sur le terrain.
À l'été 2016, l'équipe de recherche du Bureau du Nionwentsïo a complété la première phase importante de ses recherches sur le secteur (plus de 2000 documents consultés) et a identifié les zones les plus susceptibles de contenir des vestiges. L'équipe d'archéologie, qui comprend un membre de la Nation huronne-wendat et trois étudiants au baccalauréat en archéologie, est donc mise sur pied et se rend sur le terrain vers la fin du mois d'août.
«Le travail de recherche qui avait été fait au préalable par le Bureau du Nionwentsïo était remarquable. Nous avons eu droit à une très belle rencontre d'information avec Jean-François, qui nous a montré toutes les cartes et nous a expliqué les sites potentiels à fouiller, précise Michel Plourde. En fait, nous étions extrêmement choyés, car habituellement nous devons réaliser cette partie nous-mêmes. Par ailleurs, la recherche était d'autant plus exceptionnelle qu'elle s'étendait sur plus d'une dizaine d'années.»
Portage, camping et canotage attendaient donc la petite équipe de l'Université. Une expédition plutôt intense, car ils n'avaient que quatre jours pour effectuer toutes leurs fouilles, et ce, dans un secteur situé en forêt très éloignée. Mais le travail de longue haleine mené par l'équipe de recherche du Bureau du Nionwentsïo allait porter ses fruits…
Michel Plourde et ses étudiants ont d'abord découvert, sur un premier site, des vestiges datant de la période historique, tels des éléments de poêle en fonte et des clous pouvant dater du 18e ou du 19e siècle. Du matériel plus ancien, soit de la pierre taillée datant de la période paléohistorique, a aussi été trouvé sur les lieux, révélant ainsi que ce site pourrait avoir connu au moins deux occupations. Puis, non loin, un second site paléohistorique est mis au jour. De plus, la découverte d'une structure rectangulaire laisse présager les assises d'une ancienne habitation, datant possiblement du début des années 1900. L'expédition a aussi permis de confirmer l'existence d'un ancien sentier de portage – préalablement révélé par les recherches effectuées par la Nation huronne-wendat dans les archives et la tradition orale – venant donc appuyer concrètement la présence de ce peuple dans ce secteur du lac à Moïse.
Puis, la découverte exceptionnelle
À la fin d'une longue journée de travail, assis au bord de l'eau, Michel Plourde aperçoit au loin des falaises rocheuses très imposantes. Or, pour lui, celles-ci sont tout sauf ordinaires. «Ça, ça ressemble vraiment à un environnement parfait pour un site d'art rupestre!». L'archéologue et ses étudiants repoussent donc l'heure du souper et s'empressent de prendre leur embarcation. Ils s'approchent des lieux et se trouvent devant une paroi verticale, légèrement inclinée vers le plan d'eau. Puis, la découverte et… beaucoup de joie. «À notre arrivée, l'étudiante Loue Biron a aperçu une petite forme humaine de couleur rouge peinte sur la paroi et, en l'espace de quelques minutes, l'équipe allait découvrir un immense tableau de 20 mètres de long sur trois mètres de haut sur lequel on pouvait deviner d'autres formes humaines, une carapace de tortue, la patte d'un canard ou d'un huard et peut-être même l'astre solaire. C'était vraiment impressionnant. C'était un grand moment. J'ai dit à mes étudiants: ‘‘Retenez bien ce moment-là, car vous êtes extrêmement chanceux de le
vivre! ‘'»
Telles les fameuses peintures de la grotte de Lascaux, ce type d'art rupestre, de type «sites à pictogrammes», est exécuté sur des parois rocheuses verticales qui sont généralement situées aux abords de plans d'eau. Ce genre de site est très rare au Québec puisqu'on en compte, tout au plus, une douzaine. «On parle ici d'œuvres peintes à l'ocre rouge par des autochtones, au doigt ou à l'aide de pinceaux, qui représentent des scènes de vie, explique l'archéologue. Il s'agit en fait d'une des manifestations les plus anciennes de l'art autochtone en Amérique du Nord.»
Ces pictogrammes pourraient-ils avoir 2000 ans? Tout reste évidemment à vérifier et à analyser. Chose certaine, Michel Plourde et l'équipe de recherche du Bureau du Nionwentsïo espèrent bien approfondir ensemble l'analyse de cette découverte, qui a d'ailleurs été reconnue officiellement par le ministère de la Culture et des Communications du Québec. Reste à savoir maintenant si, après toutes ces découvertes, le projet d'aire protégée tant réclamé par la Nation huronne-wendat verra enfin le jour. Une histoire à suivre...
Loue Biron, Martin Tremblay et Marie-Anne Paradis au cours de leurs déplacements sur un lac.
Photo: Michel Plourde
Pictogrammes à l'ocre rouge montrant des traits verticaux surmontant ce qui est peut-être une patte d'oiseau et une section de carapace de tortue.
Photo: Michel Plourde
Fragments d'un poêle en fonte datant de la fin du 19e siècle ou du début du 20e siècle, découverts à la base de la couche végétale.
Photo: Michel Plourde
Loue Biron, Martin Tremblay (loin en arrière-plan), Marie-Anne Paradis et Stéphane Sioui, membres de l'équipe d'archéologie.
Photo: Michel Plourde
De gauche à droite, Michel Plourde, archéologue et chargé de cours au Département des sciences historiques, et les étudiants Loue Biron, Martin Tremblay, Marie-Anne Paradis et Stéphane Sioui.
Photo: Michel Plourde
Qu'est-ce qu'une aire protégée?
«Un territoire, en milieu terrestre ou aquatique, géographiquement délimité, dont l'encadrement juridique et l'administration visent spécifiquement à assurer la protection et le maintien de la diversité biologique et des ressources naturelles et culturelles associées.»
(Loi sur la conservation du patrimoine naturel, gouvernement du Québec)
L'Équipe de recherche du Bureau du Nionwentsïo autour de cartes anciennes du territoire visé par le projet d'aire protégée. De gauche à droite, sur la 1re rangée: Louis Lesage, directeur du Bureau du Nionwentsïo, Jean-François Richard, anthropologue, et Stéphanie B. Nadeau, consultante. Sur la 2e rangée: Linda Sioui, agente de recherche, Jean-Philippe Thivierge, agent de recherche, Isabelle Lechasseur, agente de recherche et développement de projets, et Karine Vollant-Deschênes, assistante de recherche.
Photo: Marc Robitaille
Une alliance historique
En décembre 2013, l'Université et la Nation huronne-wendat concluent une entente-cadre renouvelable de cinq ans pour officialiser les relations qui les unissent depuis longtemps afin d'accroître l'échange de connaissances. Cette entente historique vise à encourager les jeunes Hurons-wendat à entreprendre des études à l'Université Laval (notamment par l'octroi de bourses), à procéder à la création de deux chaires concernant le savoir autochtone, à favoriser la collaboration entre l'Université Laval et la Nation huronne-wendat afin d'agrandir l'aire de recherche et d'enseignement de la forêt Montmorency et à favoriser des activités scientifiques conjointes. Les domaines de coopération visés par cette entente sont divers: archéologie, tourisme, gestion des ressources du territoire forestier, gouvernance et harmonisation, anthropologie, éducation et santé.
Denis Brière, recteur, Louis Lesage, biologiste et directeur du Bureau du Nionwentsïo de la Nation huronne-wendat, Éric Bauce, vice-recteur exécutif et au développement, Simon Picard, avocat du Conseil de la Nation huronne-wendat, ains que Konrad Sioui, grand chef de la Nation huronne-wendat.
Photo: Marc Robitaille
Plus d'information sur cette entente.
Le projet d'aire protégée
2010. La Nation huronne-wendat est consultée dans le cadre d'un projet de coupes forestières dans le secteur du lac à Moïse, situé dans la réserve faunique des Laurentides. Des compagnies forestières sont présentes et s'apprêtent à effectuer des coupes. Or, des recherches réalisées sur ce territoire depuis une dizaine d'années par l'équipe de recherche du Bureau du Nionwentsïo, de la Nation huronne-wendat, révèlent que ce secteur est non seulement vierge, mais qu'il représente aussi une valeur patrimoniale inestimable pour la Nation huronne-wendat. Ce constat s'appuie sur une série de documents d'archives de la Nation, mais aussi sur la tradition orale.
Décembre 2013. Une entente de partenariat historique entre l'UL et la Nation huronne-wendat est signée. Celle-ci visera entre autres à réaliser des projets de recherche communs dans divers domaines, dont notamment, en archéologie. Lors de cette entente, le Bureau du Nionwentsïo informe la direction de l'Université Laval du projet d'aire protégée secteur du lac à Moïse. Diverses facultés et départements (archéologie, anthropologie, foresterie, biologie) décident de s'y impliquer. Relativement au projet d'aire protégée, l'Université Laval et la Nation huronne-wendat, d'un commun accord, décident de s'investir et conviennent qu'une École d'été en archéologie, chapeautée par la Formation continue de l'Université Laval, aura lieu à l'été 2016.
Août 2016. L'École d'été en archéologie a lieu. Michel Plourde, archéologue et chargé de cours au Département des sciences historiques, est le responsable de cette formation. Des découvertes de valeur patrimoniale ont lieu. Depuis et plus que jamais, la Nation huronne-wendat entend faire approuver son projet d'aire protégée.