Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le réchauffement climatique observé au cours des dernières décennies n'a pas eu un effet unique et unidirectionnel sur les migrations printanières des oiseaux dans nos régions. La moitié des espèces aurait maintenu le même calendrier de migration. Dans l'autre moitié, le nombre d'espèces qui migrent plus tôt est comparable au nombre d'espèces qui migrent plus tard.
C'est ce que rapportent le professeur du Département des sciences du bois et de la forêt de l'Université Laval, André Desrochers, et les étudiants-chercheurs Pierre-Alexandre Dumas, du même département, et Andra Florea, de l'UQAR, dans une prépublication diffusée sur BioRxiv.
Pour faire cette démonstration, l'équipe a utilisé des données contenues dans eBird et dans ÉPOQ, deux bases de données qui rassemblent les signalements d'oiseaux effectués par des ornithologues amateurs. Leurs analyses, qui ont porté sur 152 espèces migratrices observées au Québec entre le 1er mars et le 10 juin, pour la période allant de 1970 à 2020, reposent sur quelque 3,9 millions de signalements d'oiseaux.
Les espèces étudiées ont été regroupées en trois catégories: celles qui nichent dans l'Arctique, le biome considéré comme le plus durement touché par les changements climatiques, celles dont les migrations sont relativement courtes (elles passent l'hiver au nord du golfe de Mexico), et celles faisant de longues migrations (elles passent l'hiver en Amérique centrale ou en Amérique du Sud), excluant les espèces qui nichent dans l'Arctique.
Les analyses montrent que:
Le calendrier de migrations de 77 espèces est demeuré inchangé pendant la période étudiée.
Parmi les 75 espèces qui ont changé leur calendrier de migration, 36 espèces migrent plus tôt et 39 espèces migrent plus tard.
La date des premières arrivées est davantage devancée chez les espèces faisant de courtes migrations et chez les espèces nichant dans l'Arctique que chez celles qui font de longues migrations. Par contre, la date médiane d'arrivée est comparable dans les trois groupes.
Les espèces qui ont devancé leurs migrations sont souvent des oiseaux qui utilisent de grands plans d'eau. La disparition plus hâtive du couvert de glace sur le Saint-Laurent et les Grands Lacs pourrait en être la cause.
Que faut-il en conclure? «L'idée voulant que les migrations printanières surviennent plus tôt qu'auparavant chez les oiseaux de l'est de l'Amérique du Nord est une généralisation qui ne correspond pas à nos résultats, souligne André Desrochers. Beaucoup d'espèces ont maintenu le même patron de migration et, chez celles où des changements ont été observés, la moitié migre plus tard. La réponse des oiseaux est plus nuancée que ce que laissaient entendre plusieurs études antérieures. Nos résultats montrent qu'il faut continuer d'étudier le sujet.»
Comment expliquer cette diversité de réponses? «Il se peut que la pression ne soit pas assez forte pour induire des modifications dans le comportement migratoire chez toutes les espèces ou que certaines espèces ne soient pas en mesure de répondre rapidement aux changements climatiques, répond le chercheur. Les oiseaux ont une grande capacité d'adaptation et une grande résilience. Il ne faut pas oublier que les espèces que nous observons aujourd'hui au Québec sont les mêmes qui ont affronté les dernières glaciations il y a 15 000 ans. Elles en ont vu d'autres et elles sont passées à travers.»