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En théorie, la hausse des températures associées aux changements climatiques devrait favoriser la progression des feuillus en forêt boréale. En pratique toutefois, l'orignal, qui aime bien se mettre de jeunes pousses de feuillus sous la dent, peut freiner cette transformation. C'est ce que démontre une étude publiée dans la revue Ecology par cinq chercheurs norvégiens et par le doctorant Laurent De Vriendt et le professeur Jean-Pierre Tremblay, du Département de biologie de l'Université Laval.
Les conclusions de cette équipe reposent sur des données récoltées en forêt boréale pendant 7 ans au Québec et pendant 11 ans en Norvège. Les chercheurs ont comparé la taille et la croissance d'arbustes présents sur 62 sites ayant récemment fait l'objet d'une coupe forestière. Dans chacun des sites étudiés, les chercheurs avaient installé un exclos d'environ 400m2 – une parcelle entourée d'une clôture de 2,5 à 3m de hauteur – qui mettait la végétation à l'abri de l'appétit vorace des orignaux.
«En comparant la végétation à l'intérieur et à l'extérieur des exclos, nous avons pu isoler l'effet du broutage de l'orignal sur la taille et la croissance des arbustes», explique le professeur Tremblay, rattaché au Centre d'étude de la forêt et au Centre d'études nordiques. Les chercheurs ont concentré leurs observations sur quatre groupes d'arbres qui sont, par ordre de préférence alimentaire de l'orignal, les sorbiers, les bouleaux, les sapins, les pins et les épinettes.
— Jean-Pierre Tremblay
Les résultats? Pour le Québec, les données indiquent que des températures moyennes plus élevées favorisent une croissance plus forte des arbustes, en particulier chez les feuillus. Le taux de croissance des conifères est similaire à l'intérieur et à l'extérieur des exclos, mais pour les feuillus, ce taux est nettement plus faible hors des exclos.
«La réduction du taux de croissance des feuillus attribuable à l'orignal équivaut à celle induite par une baisse de 1,5 à 2 degrés Celsius de la température moyenne. C'est pour cette raison qu'on dit que l'orignal a un effet refroidissant sur la végétation en forêt boréale», explique le professeur Tremblay.
L'importance de cet effet dépend de nombreux facteurs environnementaux, notamment de la densité d'orignaux. «Notre aire d'études est située en Gaspésie, là où la densité de cette espèce est la plus forte au Québec, précise le chercheur. Sur la Côte-Nord, où les densités de ce cervidé sont moins élevées en raison de la présence du loup, le broutage de l'orignal sera moins efficace pour ralentir la croissance des feuillus.»
En raison de ses préférences alimentaires, l'orignal se fait donc l'allié involontaire de l'industrie forestière puisqu'il favorise le maintien des conifères dont dépendent les usines de sciage et les papetières. «De ce point de vue, on peut dire que l'orignal rend un service écosystémique à l'industrie. Il le fait également en assurant le débroussaillage autour des petites épinettes plantées sur les parterres de coupe», constate le professeur Tremblay.