Les expertises variées de chercheurs réunis au sein d'une équipe de Sentinelle Nord ont permis de brosser un premier portrait génomique de Nostoc commune et de ses proches parentes, des cyanobactéries présentes depuis les tropiques jusqu'aux pôles. Au passage, cet exercice les a amenés à étudier le génome d'un spécimen récolté par des explorateurs britanniques il y a presque 150 ans, au moment de leur passage sur l'île d'Ellesmere. Les détails de cette étude viennent de paraître dans la revue Environmental Microbiology.
Les chercheurs de l'Université Laval ont réalisé ces travaux avec Anne Jungblut, chercheuse au Natural History Museum de Londres, là où sont conservés les spécimens de Nostoc récoltés lors d'une expédition qui s'est déroulée en 1875-1876. «L'ADN est une molécule très stable, rappelle l'un des auteurs de l'étude, Warwick Vincent, professeur au Département de biologie et chercheur au Centre d'études nordiques. C'est ce qui nous a permis de réaliser des analyses sur le génome de ce spécimen récolté il y a presque un siècle et demi. Autrefois, les herbiers servaient surtout aux botanistes. Grâce au développement de la génomique, ils peuvent aussi servir aux recherches en microbiologie.»
Nostoc commune est un organisme unicellulaire qui forme des colonies macroscopiques ressemblant à des algues de mer. Le mucilage qui couvre ces colonies lui a valu des noms communs évocateurs comme gelée d'étoiles et beurre de sorcière. «C'est une espèce très importante dans les milieux terrestres de l'Arctique parce qu'elle fixe l'azote de l'atmosphère, explique le professeur Vincent. Elle fertilise naturellement les sols, elle est abondante et sa biomasse est élevée. Elle joue donc un rôle clé dans le cycle du carbone, le cycle de l'énergie et les cycles biogéochimiques dans l'Arctique.»
Les analyses des chercheurs ont révélé une grande diversité des génomes des spécimens de Nostoc commune provenant de différentes localisations géographiques. «Il est probable que certains spécimens appartiennent à des espèces distinctes que nous n'étions pas en mesure de distinguer jusqu'à présent», avance le professeur Vincent.
Les chercheurs n'ont pas trouvé de variations génétiques propres aux Nostoc commune vivant dans l'Arctique. «Les gènes qui permettent de répondre aux conditions extrêmes se retrouvent aussi bien dans les spécimens des régions tempérées que dans ceux de l'Arctique. Par contre, ces derniers montraient des concentrations plus élevées de métabolites secondaires, qui pourraient les protéger des autres microorganismes.»
Enfin, le système CRISPR-Cas, l'équivalent de notre système immunitaire, du spécimen de Nostoc commune datant de 1876 diffère de ceux de ses contemporains provenant de l'île d'Ellesmere. Ce système garde en mémoire, dans le génome des bactéries, la trace des infections virales passées. «Les virus qui attaquaient les Nostoc commune de l'île d'Ellesmere en 1876 sont différents de ceux qui les attaquent maintenant, conclut Anne Jungblut. Ce n'est pas une surprise toutefois. Les virus évoluent très rapidement, comme le démontre l'émergence continue de nouveaux variants de COVID-19.»
Les signataires de l'étude parue dans Environmental Microbiology sont Anne Jungblut, du National History Museum, et Frédéric Raymond, Moïra Dion, Sylvain Moineau, Vani Mohit, Guillaume Quang Nguyen, Maxime Deraspe, Élina Francovic-Fontaine, Connie Lovejoy, Alexander Culley, Jacques Corbeil et Warwick Vincent, de l'Université Laval.