C’est ce qu’a soutenu la doctorante en géographie urbaine Martine Freedman, qui présentait, le 4 avril, lors d’un midi-causerie organisé par le Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions (CELAT), les premiers résultats de sa recherche en cours, intitulée «Reconstruire sa territorialité dans un quartier en revitalisation». Ayant recueilli les témoignages d’une vingtaine d’itinérants en 2006, la chercheure affirme que cet effet miroir est tel que des itinérants semblent avoir pris une certaine distance par rapport au groupe dont ils faisaient ouvertement partie au début des années 2000. En témoignent les mots qu’ils emploient lorsqu’ils parlent d’eux-mêmes: «Lors des premières entrevues réalisées en 2001 et 2002, souligne Martine Freedman, ces gens-là disaient: "je, j’ai, moi." En 2006, ils disaient : "ils, eux, ceux-là." On assiste ici à une mise à distance de l’itinérance.»
Les itinérants dont parle la chercheure dans son étude sont des personnes qui n’ont pas d’adresse fixe, c’est-à-dire qu’elles peuvent déménager jusqu’à quatre ou cinq fois dans l’année, habitant trois mois chez un ami, six mois dans une maison de chambres, quelques semaines dans une maison d’hébergement, etc. Certains ont quitté le quartier mais y reviennent parfois pour retrouver des pairs ou tout simplement, pour marcher dans ces rues vivantes de tant de souvenirs heureux ou malheureux.
«Pour tous ces itinérants, révèle la chercheure, le Mail Centre-Ville représentait un toit, un point de repère où ils passaient la journée, un lieu de rencontre informel où ils pouvaient parler et où tout le monde se connaissait. Aujourd’hui, ils se sentent comme des spectateurs de la rue Saint-Joseph, après en avoir été les acteurs. Leur sentiment d’appartenance diminue au fil de l’embourgeoisement du quartier. Et même s’ils sont heureux de voir arriver des gens bien habillés et qu’ils apprécient la beauté des lieux découlant de la revitalisation du quartier, ils réalisent avec le temps que ces bouleversements ne changent rien à leurs problèmes de pauvreté et de solitude.»