
Dans les centres d'appel, faire la grève n'est pas facile, mais les salariés recourent à d'autres façons de s'opposer au contrôle patronal, par exemple le cynisme et le désengagement.
«Les entreprises des pays industrialisés évoluent vers un style de management plus sophistiqué qui fait appel à la responsabilisation du salarié, à son engagement subjectif et émotionnel, explique Jacques Bélanger, professeur au Département des relations industrielles et codirecteur du Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail. Dans ce nouveau contexte où la compétence et les savoirs du salarié sont de plus en plus sollicités, les formes d’opposition observées sont, notamment, le cynisme, la prise de distance par rapport au management et à l’organisation, le désengagement ou encore l’abstention de partager pleinement son expertise, ses réseaux ou ses idées porteuses d’innovation.»
Il y a quelques mois, la Revue française de sociologie publiait un article sur le sujet sous la signature de Jacques Bélanger et de Christian Thuderoz, chercheur à l’Institut national des sciences appliquées de Lyon. Cet article, intitulé Le répertoire de l’opposition au travail, est basé sur une revue de littérature sur la situation au Royaume-Uni, en France, au Canada et au Québec. «Certains courants de pensée avancent que l’époque actuelle est assez morose pour les salariés, indique Jacques Bélanger. Les salariés seraient plutôt démunis face à la dynamique du capitalisme mondialisé, face aux programmes de contrôle managérial toujours plus sophistiqués et face aux technologies de l’information inquisitrices qui permettent la surveillance des salariés connectés. Or notre recherche laisse croire que les salariés ont encore la capacité d’exprimer leur opposition. De nouveaux moyens d’action, adaptés au contexte, se développent.»
Et les raisons d’exprimer cette opposition? «Elles sont nombreuses, répond Jacques Bélanger. L’une d’elles est le renforcement du contrôle managérial qui est perçu comme illégitime par les salariés. Mais si l’employeur cherche à contrôler davantage les salariés, c’est parce qu’il considère que ces derniers ne s’engagent pas suffisamment dans l’entreprise.»
Dans leur étude, les chercheurs se penchent sur une catégorie d’entreprise typique du 21e siècle: le centre d’appels. «Les centres d’appels ont fait l’objet de beaucoup de recherche sur le plan international, souligne Jacques Bélanger. Ces milieux ne sont habituellement pas organisés en syndicats et faire la grève n’y est pas facile. Malgré la contrainte indéniable des technologies de l’information, on y observe souvent des formes d’opposition tels le cynisme, la prise de distance par rapport au management et à l’organisation, et le désengagement.»
Par définition, la relation d’emploi est asymétrique et antagonique. Selon Jacques Bélanger, il est possible, à l’ère postindustrielle, de concilier ces deux éléments. «Cela, dit-il, peut se faire en construisant des modes de coopération et de compromis entre l’employeur et le salarié, mais sans jamais tenir pour acquis ce consentement et cet engagement.»