Q Gandhi a-t-il vraiment réussi l’indépendance de l’Inde?
R Il est parvenu à libérer le pays de l’Empire britannique, pour en faire un État développé. Ottawa a l’air d’un petit campement lorsqu’on se trouve sur la grande artère de New Delhi bordée de grands édifices gouvernementaux. Un des rêves de Gandhi, celui d’unifier l’Inde, a aussi été accompli, surtout grâce à Nehru, qui lui a succédé et qui connaissait bien sa pensée. Il a convaincu les maharajahs de donner ou de vendre leur territoire, et les États princiers ont disparu. Aujourd’hui, l’Inde a atteint un certain niveau démocratique qui peut servir de modèle à bien des pays dans le monde. Reste cependant la question non réglée de la partition du Pakistan, qui a poussé à la militarisation. Gandhi l’a vécue comme un immense échec à la fin de sa vie.
Q Gandhi a-t-il finalement gagné son combat pour supprimer les castes?
R Je ne pense pas qu’il voulait les abolir. Il luttait plutôt pour la suppression de l’intouchabilité. Environ un quart de la population indienne était mise à l’écart au nom de principes philosophico-religieux. Pour Gandhi, les intouchables étaient des enfants de Dieu. En les appelant ainsi, il changeait le regard de la population sur eux, l'invitait à les considérer comme des frères, eux que l’on traitait comme de la boue. Aujourd’hui, les conditions de vie des intouchables se sont considérablement améliorées. Désormais, ils ont accès à des emplois dans l’armée, dans la fonction publique, dans le commerce, des fonctions qu’ils ne pouvaient exercer auparavant.
Q Son action aura-t-elle modifié l’Inde en profondeur?
R Gandhi n’était pas un politicien, il n’appartenait pas à une formation politique proprement dite. Il n’était pas non plus un brahmane, chargé de transmettre les enseignements de sa religion. Par contre, son engagement a considérablement contribué à la transformation sociopolitique de son peuple, de son pays. Il a puisé dans sa religion hindouiste une motivation pour développer sa pensée, son analyse, sa force aussi. La non-violence qu’il prônait plonge ses racines dans la tradition de l’Inde, notamment dans la religion des jaïns, apparue à la même époque que le bouddhisme. D’après moi, le génie de Gandhi, c’est d’avoir utilisé cette force constructrice, la non-violence, non seulement pour le salut d’un individu, mais pour permettre à une collectivité de reconstruire son vivre-ensemble. De son ascèse personnelle et spirituelle, il a fait une ascèse collective pour changer son peuple, changer son pays. Par ailleurs, il invitait les gens qui le suivaient à revenir à leurs sources religieuses, quelles qu’elles fussent. À une époque où le dialogue interreligieux n’existait pas, c’est fascinant de voir comment cet homme-là a pu faire comprendre aux gens que les réalités religieuses dont ils se réclament doivent avoir une incidence dans leur vie de tous les jours.
Propos recueillis par Pascale Guéricolas