2 décembre 2025
Rendez-vous des cycles supérieurs: l'IA, un outil à double tranchant pour la relève en recherche
Le conférencier Jean-François Sénéchal a abordé les pressions de la recherche universitaire et les dérives éthiques au temps de l'intelligence artificielle

Jean-François Sénéchal, chargé d’enseignement à la Faculté de philosophie
— Université Laval, Yan Doublet
Quels sont les effets de l'arrivée des outils d'intelligence artificielle (IA) sur la conduite en recherche? Jean-François Sénéchal, chargé d'enseignement à la Faculté de philosophie, a abordé cette thématique lors du Rendez-vous des cycles supérieurs, organisé le 28 novembre par la Faculté des études supérieures et postdoctorales.
Entre pression et dérives
Dans sa conférence intitulée «Intelligence artificielle et conduite responsable en recherche – Le ChatGPT sort du sac!», le chargé d'enseignement a tenu a rappeler que la recherche est un milieu de travail comme un autre, qui vient avec des pressions et des attentes. Il a notamment fait référence à la pression de publier, résumée par l'expression publish or perish (publier ou périr). Le manque de temps, de compétences, d'encadrement, de ressources et de surveillance peut engendrer des comportements inappropriés en matière d'éthique, comme la falsification de données, la non-divulgation de conflits d'intérêts ou le vol d'idée.
Jean-François Sénéchal a aussi mis en lumière d'autres comportements «non sanctionnables» qui nuisent au système de la recherche. Il a donné l'exemple du fractionnement d'une «grosse publication» en plusieurs petites «moins substantielles», de l'autoplagiat ou d'une sélection inappropriée. Il a aussi rapporté une multiplication du nombre de signataires, en citant une publication du CERN, l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire, avec 5154 autrices et auteurs. Selon Jean-François Sénéchal, la pression de publier peut rendre tentant le recours aux revues prédatrices, qui publient des articles en échange de frais de publication, sans réelle vérification de la rigueur scientifique.
Les promesses et les dangers de l'IA
Ces problèmes, qui existaient bien avant l'arrivée de l'IA dans le monde universitaire, peuvent s'intensifier avec les nouveaux outils. Il cite des applications comme Consensus, Scispace, Connected Papers ou Elicit. Ce dernier, offert gratuitement à la communauté universitaire, est conçu pour analyser des publications scientifiques et générer des résumés.
«L'IA peut servir à la recherche d'informations et à la gestion ou à l'analyse de données, mais il faut faire attention de ne pas verser dans les maladresses, comme la violation de la propriété intellectuelle ou du droit d'auteur», a prévenu Jean-François Sénéchal.
Le chargé d'enseignement a ressorti plusieurs articles dans lesquels une mention des limites de l'IA utilisée s'était glissée par copier-coller. Il a aussi mentionné l'utilisation d'une même image plusieurs fois dans une publication, notamment pour illustrer à la fois l'effet d'un médicament et d'un placebo. «Comment a-t-on échappé ça dans le processus de révision par les pairs?», s'est-il questionné.
Certains outils permettent de générer automatiquement des articles scientifiques. Jean-François Sénéchal a indiqué qu'environ 1% de tous les articles publiés sont générés par l'IA. Dans certains domaines où la pression de publication est plus intense, comme en médecine, ce chiffre s'approche de 3%.
Former la relève en recherche
Parmi les pistes de solutions, le chargé d'enseignement soutient l'importance de l'éducation. «Il faut parler des pressions, des difficultés, des ressources. Ce n'est pas seulement de sensibiliser, mais de former», a-t-il souligné, ajoutant que ça demande du temps, du financement et de l'encadrement.
Selon lui, l'utilisation de l'IA en recherche doit faire l'objet de discussions entre les étudiantes et étudiants, leur direction et leur entourage dans les équipes de recherche.
«Ça m'aurait pris au moins cinq ans pour faire ce qu'Elicit peut faire en quelques minutes. Mais je sais déjà faire ça, donc je peux l'utiliser, et ça va plus vite. Vous, est-ce que vous savez déjà faire ça?», a-t-il demandé aux étudiantes et étudiants. Selon lui, il y a un risque de perte de compétences. «On aura des étudiants diplômés qui auront sans cesse besoin de ces outils, sinon ils ne seront pas capables de travailler.»
Il souligne l'importance de prendre le temps du parcours universitaire pour apprendre, pour se développer. «Vous êtes là pour être formé sur les forces et les compétences d'un chercheur, pas seulement avoir un diplôme», conclut-il.
























