
En 2010, une cinquantaine de phoques gris sont nés sur l'île Brion. En 2022, ce nombre avait grimpé à plus de 10 000. La mise bas se déroule dans les dunes.
— Estelle Perrimond
La population de phoques gris du nord-ouest de l'Atlantique est passée de 7000 individus en 1960 à plus de 366 000 en 2021. Au cours des dernières années, cette explosion démographique a été accompagnée par la disparition graduelle de la glace de mer, le traditionnel milieu de mise bas de cette population. Le résultat: de plus en plus de phoques se rendent sur la terre ferme, notamment dans les dunes, pour donner naissance à leurs petits.
Ces hordes de phoques menacent-elles l'intégrité de ces fragiles écosystèmes côtiers? Pas pour l'instant, conclut une étude menée par la doctorante Estelle Perrimond et par le professeur Stéphane Boudreau, du Département de biologie et du Centre d'études nordiques de l'Université Laval.
Les deux biologistes ont étudié la question dans la réserve écologique de l'île Brion située dans l'archipel des îles de la Madeleine. «Avant 1990, il n'y avait aucun phoque gris sur cette île. À partir de 2010, l'espèce a commencé à l'utiliser comme aire de mise bas. Cette année-là, les scientifiques y ont dénombré une cinquantaine de nouveau-nés. En 2022, on en a compté 10 175. En incluant les juvéniles et les adultes, plus de 16 000 phoques gris utilisent désormais l'île Brion», précise Estelle Perrimond.
Le phoque gris est observé tout au long de l'année sur les plages de cette île. Toutefois, entre la fin décembre et le mois de février, les femelles se déplacent vers les dunes pour donner naissance à leurs petits. «La présence du phoque gris pourrait endommager l'ammophile à ligule courte, communément appelée foin de grève. C'est une espèce clé de l'écosystème dunaire parce qu'elle stabilise les sols. Elle est toutefois sensible à l'impact du piétinement», précise la doctorante.
Les deux scientifiques ont comparé la biomasse du foin de grève ainsi que les caractéristiques physicochimiques des tissus de cette plante ainsi que celles des sols dans des sites de l'île Brion utilisés par le phoque gris et dans des sites où ce mammifère marin était absent.
«Nos résultats indiquent que les phoques gris contribuent, par leur production de résidus organiques, au transfert de nutriments depuis l'environnement marin vers les écosystèmes dunaires côtiers, ce qui favorise la productivité du foin de grève et conséquemment la stabilité des dunes. Pour l'instant, les bénéfices de cette fertilisation semblent dépasser les dommages mécaniques causés par ces animaux», résume Estelle Perrimond.

Les dommages mécaniques que les phoques gris causent au foin de grève pendant la période de mise bas seraient atténués par la présence d'un couvert de neige.
— Estelle Perrimond
La doctorante croit que la présence d'un couvert de neige au sol pendant la période de mise bas protègerait la partie souterraine du foin de grève contre les dommages physiques que pourraient lui occasionner les phoques gris. «Jusqu'à présent, les phoques ne constituent pas une menace pour les dunes. Toutefois, la diminution des chutes de neige prédite par les modèles climatiques pourrait potentiellement changer le constat actuel», prévient-elle.
L'étude menée par Estelle Perrimond et Stéphane Boudreau est parue dans la revue Écoscience.


























