19 mars 2025
Thérapie assistée par «champignons magiques»: l'expérience pratique devrait-elle faire partie de la formation des thérapeutes?
Une équipe de recherche propose une réflexion sur la place du savoir expérientiel dans l'apprentissage de cette intervention qui allie psychologie et pharmacologie

Selon certains spécialistes, l'ajout d'une composante expérientielle à la formation des personnes qui veulent offrir des thérapies assistées par psilocybine serait la façon la plus fiable de faire comprendre l'étendue et la complexité des effets produits par cette substance sur l'esprit humain.
— Getty Images/Moor Images
Combinée à la psychothérapie, la psilocybine, l'ingrédient actif des «champignons magiques», produit des effets bénéfiques chez les personnes souffrant de dépression majeure résistante aux traitements usuels et chez les personnes qui souffrent de détresse existentielle en raison d'une maladie grave et incurable. Depuis 2022, sur demande médicale, Santé Canada peut autoriser l'utilisation à ces fins de la psilocybine, une substance autrement interdite au Canada, si toutes les autres solutions existantes ont échoué.
Parce qu'elle provoque une modification de la conscience qui peut être très intense et qui dure plusieurs heures, une session de psychothérapie assistée par psilocybine doit être encadrée par deux thérapeutes dûment formés dans le domaine. Ces spécialistes seraient-ils mieux préparés à accomplir leur tâche s'ils avaient eux-mêmes fait l'essai de la psilocybine, sous supervision, dans le cadre de leur formation?
Voilà la question que soulèvent, dans un article publié récemment par le Journal of Psychedelic Studies, Louis Plourde, doctorant en sciences pharmaceutiques à l'Université Laval, et d'autres membres d'un groupe de recherche, dirigé par Michel Dorval, professeur à la Faculté de pharmacie de l'Université Laval et chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval, qui s'intéressent à l'usage thérapeutique de la psilocybine.
«Dans un avis publié en 2022, un comité multidisciplinaire d'experts canadiens recommandait que le savoir expérientiel fasse partie de la formation des personnes qui souhaitent offrir des traitements impliquant des substances comme la psilocybine, rappelle Louis Plourde. La logique d'inclure une dimension expérientielle dans ces formations repose sur l'idée qu'il s'agit là de la manière la plus fiable, sinon la seule, de comprendre l'étendue et la complexité des effets produits par la psilocybine sur l'esprit humain ainsi que les facteurs qui affectent la qualité de l'expérience.»
Autre élément à considérer, le savoir expérientiel des thérapeutes pourrait favoriser l'empathie et la sensibilité à l'égard de l'expérience vécue par les patients. «Ces derniers pourraient aussi être rassurés et davantage en confiance en sachant que leur thérapeute a un savoir expérientiel dans le domaine», ajoute le doctorant.
La double nature de la psilocybine
En psychologie et en psychanalyse, expérimenter comme sujet certaines interventions psychothérapeutiques fait partie intégrante de la formation. «Dans ces domaines, il serait même difficile de concevoir une formation qui n'inclurait pas cette dimension, commente Louis Plourde. La thérapie assistée par psilocybine est un cas particulier en raison de sa double nature. C'est une intervention psychologique et pharmacologique.»
En 2023, la Cour fédérale a donné raison à Santé Canada dans une cause qui l'opposait à 96 thérapeutes à qui l'agence avait refusé une exemption qui leur aurait permis d'utiliser la psilocybine dans le cadre d'une formation. Santé Canada estimait qu'il n'y a pas suffisamment de preuves démontrant que cela assurerait un meilleur encadrement ou de meilleurs résultats.
«Il n'existe pas encore de données probantes à ce sujet, confirme Louis Plourde. C'est un domaine dans lequel il n'est pas facile de mener des travaux de recherche, entre autres parce que l'accès à la psilocybine demeure restreint au Canada et que le financement de telles études est difficile à trouver.»
Par ailleurs, l'idée de rendre obligatoire le savoir expérientiel de la psilocybine pose certains problèmes, estime-t-il. Certaines personnes souhaitant offrir cette thérapie pourraient ne pas vouloir en faire l'essai en raison d'une contre-indication médicale ou d'un conflit potentiel avec leur héritage culturel ou religieux.
— Louis Plourde
Permettre sans obliger
Après avoir soupesé tous ces éléments, Louis Plourde et ses collègues proposent le compromis suivant. «Les thérapeutes qui veulent acquérir un savoir expérientiel dans le cadre d'une formation en psychothérapie assistée par psilocybine devraient pouvoir obtenir une exemption de Santé Canada. Par contre, ce savoir expérientiel ne devrait pas être obligatoire pour obtenir une accréditation de thérapeute dans le domaine», résume le doctorant.
Le Canada a été l'un des premiers pays au monde à autoriser l'utilisation thérapeutique de la psilocybine, rappelle-t-il. «Nous en sommes encore aux premières phases de son implantation et il est normal que Santé Canada procède avec prudence. D'ici à ce que des données probantes soient disponibles, il serait souhaitable que l'agence adopte une position plus nuancée en tenant compte de l'opinion et de l'expérience des spécialistes qui plaident en faveur du savoir expérientiel de la psilocybine dans le cadre d'une formation.»
Les signataires de l'article de réflexion publié dans le Journal of Psychedelic Studies sont Louis Plourde, Sue-Ling Chang et Michel Dorval, de l'Université Laval, Houman Farzin, de l'Université McGill, Jean-François Stephan, médecin en pratique privée, et Jean-Sébastien Fallu, de l'Université de Montréal.