Deux études publiées récemment par une équipe de recherche dont fait partie le professeur Juan Carlos Villarreal, de l'Université Laval, démontrent que de modestes plantes méconnues peuvent livrer des connaissances fondamentales précieuses sur l'évolution de la vie sur Terre et inspirer des innovations permettant d'accroître la production agricole.
Les plantes en question sont des anthocérotes, un groupe apparenté aux premiers végétaux qui ont quitté le milieu aquatique pour s'établir sur la terre ferme il y a 500 millions d'années. «Encore aujourd'hui, les anthocérotes ont des caractéristiques qui sont présentes chez les algues, mais qu'on ne retrouve pas chez les autres plantes terrestres», souligne Juan Carlos Villarreal, professeur au Département de biologie, membre de l'Institut de biologie intégrative et des systèmes et conservateur de l'Herbier Louis-Marie de l'Université Laval.
Jusqu'à présent, les scientifiques ont identifié 223 espèces d'anthocérotes à travers le monde, mais comme elles sont peu étudiées, il s'agirait d'une sous-estimation, précise le chercheur. Le Québec abrite 4 espèces d'anthocérotes dont les populations, concentrées dans le sud du Québec, sont peu abondantes.
Avec l'équipe du professeur Fay-Wei Li, de l'Université Cornell, le professeur Villarreal a étudié le génome de 10 espèces appartenant à différentes familles d'anthocérotes afin de mieux comprendre comment elles avaient évolué à partir de leur ancêtre commun. Ces 10 espèces se sont séparées il y a 300 millions d'années, mais, contrairement à plusieurs autres groupes de plantes terrestres, leurs chromosomes sont demeurés étonnamment stables, rapporte cette équipe dans Nature Plants.
«Par contre, elles ont développé des chromosomes accessoires, qui ne sont pas essentiels à leur survie, mais qui leur apportent certains avantages. Ces chromosomes accessoires évoluent rapidement et ils sont différents entre les individus, et même entre les différentes parties d'une même plante», souligne le professeur Villarreal.
Dans une autre étude publiée par Nature Plants, l'équipe de recherche s'est intéressée à des structures présentes uniquement chez les algues et chez les anthocérotes. Nommées pyrénoïdes, ces structures contiennent des enzymes qui captent le CO2 et le convertissent en biomasse végétale lors de la photosynthèse.
«Les anthocérotes sont dotées d'un mécanisme qui leur permet de concentrer le CO2 dans leurs pyrénoïdes, ce qui augmente de 60% l'efficacité de la photosynthèse par rapport à celle d'autres plantes, souligne Juan Carlos Villarreal. L'équipe du professeur Li tente d'intégrer ces pyrénoïdes au génome de plantes agricoles afin d'en accroître la productivité. Il devrait y avoir des avancées significatives de ce côté d'ici cinq ans.»
En recherche végétale, il existe un fort biais en faveur des plantes vasculaires, celles qui possèdent des racines et des vaisseaux conducteurs assurant la circulation de la sève, constate le professeur Villarreal. «Les scientifiques consacrent beaucoup de temps et d'énergie à la recherche sur les plantes vasculaires. À l'inverse, les plantes modestes et peu charismatiques comme les anthocérotes, les mousses et les hépatiques sont négligées, notamment parce qu'il est difficile d'obtenir du financement pour les étudier.»
— Juan Carlos Villarreal
Pourtant, plaide-t-il, ces plantes parviennent à croître dans les environnements les plus inhospitaliers de la planète, elles jouent des rôles clés dans le cycle des éléments, notamment celui du carbone, et elles pourraient nous aider à mieux comprendre l'évolution de la vie sur Terre. Enfin, leurs particularités pourraient nous inspirer des applications insoupçonnées. «Il est temps de mettre fin au chauvinisme dans le domaine de la recherche sur les plantes. En élargissant nos horizons pour inclure les anthocérotes, les mousses et les hépatiques, nous nous engageons sur une voie qui nous conduira à une compréhension plus globale du règne végétal.»