9 octobre 2024
Prédire la résistance aux antifongiques grâce à un catalogue de mutations
Pour aider le personnel clinique à choisir le bon médicament contre une infection fongique, des chercheurs ont classifié les effets protecteurs d'environ 4000 mutations d'un champignon pathogène
Seules quatre classes d'antifongiques existent actuellement et la résistance des pathogènes à ces médicaments complexifie le traitement. Une équipe de recherche a identifié les mutations de résistance du champignon Candida albicans, la cause la plus fréquente d'infections fongiques, pour six médicaments largement utilisés en clinique appartenant à la classe des azoles.
Dans l'étude, publiée dans la revue Nature Microbiology, l'équipe a regroupé les mutations et leur résistance aux différents azoles dans un catalogue. Il pourra servir au personnel en clinique pour les orienter dans le choix de traitement.
Camille Bédard, doctorante à la Faculté des sciences et de génie et première auteure de l'étude, met de l'avant la nécessité de trouver un antifongique adapté rapidement, sans essai-erreur.
«Le taux de mortalité peut atteindre 70% pour les personnes immunodéprimées dans le cas du pathogène C. albicans. Si les cliniciens savent à quelle mutation ils ont affaire, ils peuvent regarder dans le catalogue pour déterminer le traitement approprié selon la résistance indiquée», rapporte Camille Bédard, qui travaille sous la direction du professeur Christian Landry.
Une résistance croisée préoccupante
Pour 88% des mutations de résistance, la protection est efficace pour plusieurs médicaments azolés à la fois. Comme les azoles testés ont tous le même mécanisme d'action, l'équipe s'attendait à observer cette résistance croisée, mais pas dans une telle proportion. «Les azoles agissent par liaison avec une protéine clé pour la croissance du pathogène qui permet de l'inhiber. Lorsqu'il y a une mutation de résistance, le médicament ne peut plus s'attacher à la protéine et perd son efficacité», explique la doctorante. Comme les molécules sont un peu différentes d'un azole à l'autre, elle ne pensait pas qu'il y aurait une protection si polyvalente.
L'enjeu de la résistance croisée aux azoles préoccupe Camille Bédard, car cette famille d'antifongiques sert aussi en agriculture. «Certains pathogènes présents dans l'environnement peuvent se retrouver chez l'humain. C'est le cas d'Aspergillus fumigatus, un champignon du sol dont on peut respirer les spores. Chez une personne immunodéprimée, ça peut causer des infections. Si le pathogène a déjà été en contact avec un azole agricole, il pourrait avoir développé une résistance qui le protège aussi des azoles médicaux», prévient la jeune chercheuse, récipiendaire d'une Bourse Vanier 2024.
Dans un prochain article, elle souhaite évaluer le taux de résistance croisée entre les azoles agricoles et médicaux pour A. fumigatus et d'autres champignons du même type.
Un catalogue exhaustif
Plutôt que de choisir des mutations qui semblent d'intérêt, l'équipe de recherche s'intéresse à toutes les mutations possibles, ce qui augmente le pouvoir de prédiction du catalogue. «On est capable de générer et d'étudier des mutations qui n'ont pas encore été observées dans la nature et qui pourraient émerger dans le futur. Ainsi, même si une mutation est observée en clinique pour la première fois, elle se trouvera dans le catalogue et le clinicien pourra savoir s'il y a ou non une résistance», soutient Camille Bédard.
Pour étudier les 4000 mutations potentielles, les chercheurs utilisent une levure modèle, la levure du boulanger. Elle est modifiée génétiquement pour produire la même protéine que le pathogène C. albicans qui est ciblé par le médicament azolé. Ils testent ensuite la résistance en mettant tous les «mutants» en présence de chaque antifongique. Ceux qui survivent seront catégorisés comme résistants.
L'équipe souhaite maintenant déterminer si les mutations de résistance identifiées pour C. albicans seront les mêmes chez d'autres champignons pathogènes. «Est-ce qu'on pourrait utiliser le catalogue pour d'autres champignons ou il faudrait un catalogue pour chaque pathogène?» se questionne Camille Bédard.
L'étude a été publiée dans la revue Nature Microbiology. Les autres signataires de l'Université Laval sont Isabelle Gagnon-Arsenault, Jonathan Boisvert, Samuel Plante, Alexandre K. Dubé, Alicia Pageau, Anna Fijarczyk et Christian R Landry. Les chercheurs Jehoshua Sharma, Laetitia Maroc, Rebecca S. Shapiro, de l'Université de Guelph, ont aussi collaboré.