Des équipes de recherche de l'Université Laval, de l'Université Dalhousie et de l'Université de Montréal ont conçu des modèles liés à l'intelligence artificielle (IA) pour l'analyse et la prédiction des risques de suicide. Grâce à la collaboration avec l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), les chercheuses et chercheurs ont eu accès à une montagne de données.
«Ce premier grand projet constitue ainsi une belle démonstration de l'apport potentiel de l'IA à la prévention en santé mentale et en dépendances», indique Christian Gagné, professeur à la Faculté des sciences et de génie de l'Université Laval et directeur de l'Institut intelligence et données.
Fatemeh Gholi Zadeh Kharrat, stagiaire postdoctorale à l'Université Laval, a intégré des données écologiques, liées à la démographie ou à l'environnement, et des données anonymisées d'individus, répertoriées entre 2000 et 2019. Elle a analysé des statistiques liées à la population, à l'assurance médicament, à l'accessibilité des systèmes de santé et bien plus.
Comprendre pour mieux prévenir
L'initiative a permis de confirmer des hypothèses déjà existantes sur le sujet, en plus de faire émerger de nouvelles connaissances. «Par exemple, on a vu que les gens qui avaient eu un suivi en santé mentale dans les 60 jours qui précèdent avaient un risque accru de suicide. Idem pour la consommation de drogues. C'est le genre de relation qu'on s'attendait à voir, mais l'analyse par apprentissage automatique nous a montré clairement leur incidence», indique Christian Gagné, qui a travaillé étroitement avec Alain Lesage, professeur à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal.
Les modèles utilisant l'IA ont aussi montré que les troubles de santé mentale et de dépendance sont des facteurs importants de la prédiction du suicide. Ils ont aussi mis de l'avant l'effet cumulatif de facteurs de risque, tant lié à l'individu qu'au contexte dans lequel il évolue. Ce qui se passe sur le plan individuel est aussi déterminé par des facteurs d'ordre écologique, comme le budget régional en santé mentale et en dépendances.
Les analyses ont d'ailleurs montré que le taux de décès par suicide chez les hommes est plus élevé dans les régions où le budget par habitant pour les situations liées aux dépendances est plus bas. «C'est donc une relation claire entre les niveaux d'investissement public en santé mentale et en dépendances et le risque de suicide qui a été établie. À l'inverse, si on augmente le financement, alors il y a un effet réel sur la réduction de ce risque», souligne le professeur Gagné.
Quelque 600 variables étudiées
Ce type de relation a pu être mis de l'avant grâce à l'apport d'une quantité importante de variables. Situation sociodémographique, diagnostics et hospitalisations, antécédents de santé physique ou mentale, budget régional de santé mentale, c'est quelque 600 variables cliniques ou sociétales qui ont été considérées. «Nous avons pu voir à quel point les données portées par l'INSPQ étaient riches!», raconte Fatemeh Kharrat.
Deux modèles d'IA se sont rapidement imposés, définis en fonction du genre. «La différenciation des facteurs de risque féminins et masculins, c'est quelque chose qui est déjà bien compris par le milieu clinique. En développant des modèles par sexe, ça nous a permis de mettre de l'avant d'autres variables d'intérêt, voire d'identifier des variables qui seraient spécifiques selon le sexe», note Christian Gagné.
Au fil des simulations, l'équipe a mesuré l'impact des différentes variables pour cibler les facteurs avec le plus d'influence. «Si on joue avec la défavorisation sociale du quartier où demeure la personne, ça a quel effet sur les facteurs de risque?, illustre Fatemeh Kharrat. On a pu comprendre les relations entre les variables et leur effet sur le niveau de risque.»
Pour l'interprétation des résultats, les chercheuses et chercheurs ont travaillé avec des spécialistes du domaine. «Ils pouvaient vérifier si la relation existe ou est probable d'un point de vue clinique», ajoute Christian Gagné.
Ce projet, soutenu par un financement du programme Nouvelles frontières en recherche des trois conseils de recherche du Canada, a fait l'objet de publications scientifiques dans les revues PLOS One et JMIR Public Health and Surveillance.