9 mai 2024
Dénoncer le plagiat et les autres actes répréhensibles en recherche?
Une table ronde présentée dans le cadre de la Semaine de la conduite responsable en recherche a abordé la délicate question de la dénonciation des actes répréhensibles dans le milieu universitaire
En 2011, pendant la soirée qui précédait un congrès international, le professeur Henri Guénin, de l'École de comptabilité de l'Université Laval, s'est retrouvé dans une situation très inconfortable. Les organisateurs du congrès lui avaient demandé de faire une présentation critique d'un article soumis par un autre chercheur qui participait également au congrès. Jusque-là tout va bien. Or, quelques heures avant sa présentation, le professeur Guénin prend connaissance de l'article en question et ce qu'il voit le pétrifie.
«J'ai constaté que l'autre chercheur reprenait, sans me citer, le thème, la structure et les arguments d'une communication que j'avais présentée une année plus tôt dans un atelier auquel il avait aussi participé. Il était tard, je n'étais pas en mesure de communiquer avec les organisateurs du congrès et j'étais le premier présentateur de la journée le lendemain. Je ne savais pas comment réagir face au plagiat d'un travail auquel j'avais consacré plusieurs années de ma vie», a-t-il raconté aux participants d'une table ronde sur l'alerte éthique en milieu universitaire qui a eu lieu le 7 mai à l'Université Laval, dans le cadre de la Semaine de la conduite responsable en recherche organisée par le Vice-rectorat à la recherche, à la création et à l'innovation.
Personne ne peut blâmer le professeur Guénin de ne pas avoir su comment réagir parce que personne n'est vraiment préparé à vivre pareille situation. Et personne ne souhaite se retrouver là. «Si je dénonçais publiquement ce plagiat, je risquais de troubler le déroulement de la session et de mettre ma réputation en jeu parce qu'alors, c'était ma parole contre celle de l'autre chercheur. Par contre, si je faisais la présentation telle que me l'avaient demandé les organisateurs, c'était comme si j'admettais que l'autre chercheur n'avait pas plagié mes travaux. Lorsque j'ai pris la parole devant les congressistes, parmi lesquels se trouvaient des chercheurs très connus du domaine, je leur ai dit que j'étais désolé, mais que je considérais que cet article était un plagiat de mon travail. Il y a eu un grand malaise et la session a été annulée.»
Cette périlleuse dénonciation publique a finalement tourné à l'avantage du professeur Guénin. «Elle m'a permis d'apprendre que l'autre chercheur avait soumis l'article à une revue scientifique. J'ai dû faire la démonstration qu'il s'agissait de plagiat à un comité chargé de trancher la question. Il a fallu un mois avant qu'une décision soit rendue, mais elle a été en ma faveur. J'ai finalement pu publier cet article et il s'est révélé le plus important de ma carrière jusqu'à présent.»
Par contre, le professeur Guénin avoue aujourd'hui qu'il aurait aimé pouvoir procéder autrement que par une dénonciation publique. «Il y a un prix émotionnel très élevé à payer lorsqu'on procède comme je l'ai fait. J'ai d'abord ressenti une certaine honte après avoir lancé ce pavé dans la mare qui a troublé la communauté de chercheurs dont je fais partie. Ensuite, il y a eu une période de doute. Je me suis institué comme juge, sans savoir si mon jugement allait être reconnu comme valable, ce qui a ajouté à mon malaise. Je me suis senti isolé pendant toute cette expérience assez traumatisante.»
Des mécanismes pour faciliter les démarches
Heureusement, au cours des dernières années, des mécanismes ont été mis en place au pour faciliter la vie des personnes qui souhaitent dénoncer des actes répréhensibles dont ils sont victimes ou témoins. «À l'Université Laval, ces personnes peuvent s'adresser au Bureau du respect de la personne, a expliqué sa directrice, Julie Bilodeau, qui participait également à la table ronde. Les personnes qui préfèrent déposer une plainte à l'externe peuvent communiquer avec le Protecteur du citoyen. Si la sécurité des personnes est en jeu, il est possible de s'adresser directement à la police.»
Il y a plusieurs avantages à procéder à une dénonciation en empruntant un canal officiel comme le Bureau du respect de la personne, a souligné Julie Bilodeau. «Le bureau est un organisme neutre et sécuritaire. Nous conseillons et nous accompagnons les personnes qui font une dénonciation ou qui portent plainte, tout en assurant la confidentialité du processus et l'anonymat des personnes. Nous veillons aussi à l'application des mesures de protection contre les représailles.»
Les personnes qui deviennent des lanceurs d'alerte sont animées par le désir d'améliorer les choses, mais elles craignent qu'on apprenne qu'elles sont à l'origine de ces démarches et que des représailles s'ensuivent, a souligné le Protecteur du citoyen, Marc-André Dowd. De plus, il peut y avoir un conflit entre leur volonté de dénoncer des actes répréhensibles et leur devoir de loyauté envers l'employeur.
«Il faut beaucoup de courage pour entreprendre la dénonciation d'un acte répréhensible et le faire dans les cadres prévus peut être lourd à porter, constate-t-il. C'est pourquoi nous faisons tout ce qui est possible pour aider ces personnes dans leur démarche.»