6 décembre 2023
Des chercheurs découvrent le lac le plus profond du Québec
L'épaisse couche de sédiments accumulés au fond de ce lac pourrait servir à étudier les changements climatiques, les changements environnementaux et les séismes survenus depuis des centaines de milliers d'années
Une étude menée par une équipe de l'Université Laval a permis d'établir que le titre de lac le plus profond du Québec peut être revendiqué par le lac Manicouagan. Ce nouveau champion a une profondeur maximale de 320 mètres, soit 40 mètres de plus que le précédent record (le lac Walker). Il est toutefois inutile d'espérer se rendre sur ses rives pour le contempler ou pour le prendre en photo puisqu'il se trouve au fond du réservoir Manicouagan.
«Le réservoir Manicouagan a été mis en eau dans les années 1960 à la suite de la construction du barrage Daniel-Johnson, rappelle le responsable de l'étude, Patrick Lajeunesse, professeur au Département de géographie de l'Université Laval et chercheur au regroupement Québec-Océan. Auparavant, on trouvait dans cette région deux lacs en forme d'arc, d'une longueur d'environ 60 kilomètres chacun, qui se faisaient face: le lac Mouchalagan et, 70 kilomètres à l'est, le lac Manicouagan.»
Ces deux lacs étaient situés de part et d'autre d'un cratère formé il y a 214 millions d'années par la chute d'une météorite, poursuit le chercheur. «La hausse du niveau d'eau qui a suivi la construction du barrage a fait en sorte que les rives de ces deux lacs se trouvent maintenant à plus de 130 mètres sous la surface du réservoir. L'eau contenue dans le réservoir a atteint les bourrelets du cratère météoritique, mais le rebond central du cratère n'a pas été inondé. C'est ce qui a formé l'île René-Levasseur. Sur les photos satellites, l'ensemble a l'allure d'un œil géant. Certains le désignent d'ailleurs comme “l'œil du Québec”.»
L'équipe du professeur Lajeunesse a utilisé le bateau de recherche Louis-Edmond Hamelin pour effectuer des relevés dans la partie du réservoir située au-dessus du lac Manicouagan. À l'aide de données accumulées au fil de plusieurs centaines de kilomètres de transects, ils ont dressé le profil bathymétrique détaillé du lac. «Pendant que nous faisions les relevés, raconte le professeur Lajeunesse, je voyais les chiffres de profondeur grimper sans arrêt. À 452 mètres de profondeur – les 320 mètres du lac originel et les quelque 130 mètres attribuables à la présence du barrage – j'ai réalisé que cela correspondait à la hauteur des tours Petronas de Kuala Lumpur, les plus hautes tours jumelles au monde.»
Les processus géologiques qui ont conduit à la création d'un lac aussi profond ne sont pas connus. «L'hypothèse qui me semble la plus probable est que cette dépression faisait autrefois partie de la vallée d'une rivière à pente abrupte qui aurait surcreusé le socle rocheux, formant ainsi un profond canyon, avance le professeur Lajeunesse. L'assise rocheuse du lac Manicouagan est d'ailleurs située à une profondeur beaucoup plus grande que 320 mètres. À son maximum, on parle de 600 mètres.».
Pour les géomorphologues, la profondeur d'un lac correspond à la distance entre la surface de l'eau et la couche supérieure de sédiments. «La couche de sédiments du lac Manicouagan est exceptionnellement épaisse. Elle atteint 280 mètres par endroits. On pense qu'en raison de la profondeur du lac, les sédiments n'auraient pas été perturbés lors des dernières glaciations. En théorie, on pourrait donc utiliser ces sédiments comme archives pour étudier les changements climatiques, les changements environnementaux et les séismes survenus depuis des centaines de milliers d'années.»
Des relevés effectués à l'aide d'un échosondeur multifaisceaux ont permis aux chercheurs de visualiser ce qui se trouve aujourd'hui au fond du réservoir. «On voit distinctement des arbres et des arbustes toujours sur pied, des ruisseaux, des plages, des paysages tels qu'ils étaient avant la mise en eau, comme si le temps s'était arrêté, constate le professeur Lajeunesse. Si nous avions les ressources, nous pourrions faire de la cartographie à haute résolution et utiliser des robots sous-marins pour étudier les habitations saisonnières que les Innus de Pessamit avaient établies sur les rives du lac Manicouagan. Nous pourrions ainsi contribuer à enrichir les connaissances sur l'héritage culturel de cette communauté.»
Les détails de cette étude viennent de paraître dans la revue Geomorphology. Les signataires de l'étude sont Léo Chassiot, Patrick Lajeunesse, François-Xavier L'Heureux-Houde et Jean-François Bernier, de l'Université Laval, et leurs collègues allemands Kai-Frederik Lenz et Catalina Gebhardt.