L'ouvrage est colossal avec ses quelque 500 pages, synthèses, portraits humains, cartes, plans, lettres manuscrites, photos, qui permettent une véritable incursion dans notre milieu scolaire sur quatre siècles. «En ouvrant ce volume, on y arrive avec nos souvenirs», lance Brigitte Caulier, codirectrice de L'école au Québec, dernier-né de la collection Atlas historique du Québec, publié aux Presses de l'Université Laval.
«Ce qui est intéressant, c'est qu'on peut voir qu'il y a eu des expériences très différentes, qu'on soit allé à l'école publique ou privée, à une école de rang ou en ville», poursuit la professeure au Département des sciences historiques de l'Université Laval et chercheuse au Centre interuniversitaire d'études québécoises (CIEQ).
Ce livre ambitieux ratisse large, de l'époque de la Nouvelle-France aux années 1960, alors que le gouvernement Lesage a créé une commission royale d'enquête sur l'enseignement pour réformer le système d'éducation de la province, présidée par Mgr Alphonse-Marie Parent, vice-recteur de l'Université Laval. Sous l'impulsion du CIEQ, 27 autrices et auteurs rattachés à une dizaine d'universités ont démontré que le Québec a été un vaste laboratoire pour scolariser les filles et les garçons de religions et de langues différentes, au fur et à mesure des vagues d'immigration.
ULaval nouvelles s'est entretenu avec la professeure Caulier sur ce projet qui a demandé sept ans de gestation et qui aura une suite.
Votre livre sort en librairie alors qu'il y a une grève des enseignants. Quel parallèle peut-on faire entre ce que vous avez découvert et ce que l'on vit aujourd'hui?
On a l'impression de retourner à des problèmes bien connus: la pénurie d'enseignants, la qualité de leur formation… On pouvait croire que tout était stabilisé avec les grandes réformes des années 1960. Là, on est dans un tournant, ça nous rappelle qu'il n'a jamais été facile d'enseigner.
On a vu plusieurs exemples où les commissaires licenciaient les instituteurs, et surtout les institutrices, parce qu'ils ne voulaient pas payer le salaire. On les laissait vivre dans des conditions rudes, entre autres dans les écoles de rang. On allait chercher des femmes, parce qu'elles coûtaient moins cher que les hommes.
Il y avait aussi une différence entre les enseignants catholiques et protestants, les seconds étaient beaucoup mieux payés avant les années 1960.
Reste toujours la question fondamentale de ce qu'une société veut pour ses enseignantes et ses enseignants, de quelle façon elle les considère. Ce sont des personnes qui instruisent et éduquent nos enfants. J'ai le sentiment que leur travail s'est nettement alourdi depuis des années.
Pourquoi est-ce important de s'intéresser à l'histoire de l'école au Québec? Quel est l'objectif de ce livre?
L'éducation reste une institution centrale pour toutes les sociétés. Elle a des caractéristiques plus particulières ici, puisqu'on a été doublement colonisés et qu'on est une terre d'immigration. C'est une institution qui a été le lieu des tensions identitaires, des aspirations nationalistes et aussi du positionnement colonialiste. Donc, l'école a été vue comme un moyen de défendre sa langue, son identité, pour les francophones en particulier.
L'objectif général que nous avions était de permettre l'accès à toutes les recherches qui ont été faites dans les dernières décennies sur l'histoire de l'éducation. Je pense notamment à l'éducation des filles, aux nouvelles recherches sur les anglocatholiques – qu'on voyait souvent dans la masse des francophones, mais qui ont revendiqué pour avoir une formation adéquate, permettant des passerelles dans le monde anglophone. On pourrait ajouter tous les travaux sur les écoles juives, sur la formation donnée dans les orphelinats, sur les écoles de réforme.
Ce qu'on a pu dire sur les autochtones sera à pousser. Quand on a terminé la collecte des textes, il y avait des recherches en cours, notamment sur les pensionnats.
Ce livre peut, enfin, avoir des effets aujourd'hui dans la mesure où il nous alerte sur des écueils éventuels, des remises en question, des acquis qu'on a tendance à oublier.
Pouvez-vous revenir sur quelques grands tournants pour l'école au Québec?
D'abord, la mise en place du système scolaire public, qui se précise après plusieurs essais. En 1841, on crée le poste de surintendant de l'instruction publique, qui est un haut fonctionnaire. L'année suivante, on en aura un pour ce qui est le Québec d'aujourd'hui. Le financement par l'État est limité et on repousse le problème vers les communautés locales. Est alors créé un système de commissaires qui s'occupent de l'organisation de l'école, embauchent les maîtres, font le calendrier scolaire, répartissent la taxe scolaire. Ils sont élus à partir de 1845 et vont être très influents, avec de bonnes volontés et des fois, de moins bonnes.
En 1852, une autre étape intéressante est la création du corps des inspecteurs d'école. Ils pouvaient être craints par les commissaires, parce qu'ils mettaient le nez dans les comptes, par les institutrices qui étaient jugées sur l'enseignement qu'elles donnaient aux enfants, mais en même temps, ils servaient d'intermédiaires pour le surintendant, ce qui a permis d'uniformiser la formation donnée dans les écoles.
Avec la Confédération de 1867, l'éducation devient une compétence provinciale et c'est à ce moment-là que se renforce la confessionnalité du système scolaire chez nous. En 1869, un comité catholique et un comité protestant sont créés, deux instances qui font partie de l'instruction publique, chacun fonctionnant dans sa bulle. La répartition des taxes scolaires sera divisée en fonction de la religion des propriétaires, et les disparités seront très importantes. La société anglophone protestante est beaucoup plus riche, mais moins nombreuse, alors que du côté catholique, la population, plus importante, devra être scolarisée avec moins d'argent.
Un autre moment incontournable est l'obligation de la fréquentation scolaire jusqu'à 14 ans, en 1943. L'État du Vatican l'appliquait déjà en 1935, alors on a un peu tardé.
Quels personnages ayant marqué l'histoire de l'école au Québec aimeriez-vous faire découvrir?
Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, deuxième surintendant, avait en tête l'importance de l'État dans la structuration du système scolaire. Il a essayé de bien connaître la situation et en même temps, il a eu des initiatives importantes, que ce soit le fonds de retraite pour les instituteurs et les institutrices, l'école normale ou, en 1856, le projet d'un niveau primaire supérieur, donc l'ancêtre d'un niveau secondaire pour garçons et filles, mais ça n'a duré que 10 ans. Ces gestes montraient l'orientation et l'intérêt de cet homme, qui a été premier ministre de la nouvelle province de Québec et aussi ministre de l'Instruction publique de 1867 à 1873.
J'ai aussi un faible pour Grace Simpson, originaire des Cantons-de-l'Est qui, à 18 ans, s'est retrouvée enseignante à la communauté protestante de Lochaber Bay, en Outaouais. Elle a eu son diplôme de l'école normale de McGill et a travaillé dans ce village pendant trois ans, ce qui était exceptionnel [les enseignantes demeuraient rarement plus d'un an, révèle l'ouvrage, NDLR]. En 1905, elle a démissionné pour retourner auprès de sa mère malade. À son départ, le village lui a organisé une fête. Elle a ensuite travaillé pendant des années à l'académie de son village, en Montérégie. Elle avait développé une expertise en français et était très appréciée. Quand elle est morte à 35 ans, le journal régional en Outaouais a souligné son décès et rappelé ce qu'elle avait fait 15 ans plus tôt. Elle a marqué son temps.
Avez-vous eu des surprises? Qu'est-ce qui vous a étonnée en réalisant ce livre?
D'origine française, je suis arrivée à Montréal pour faire mon doctorat. Je suis une fille de l'école laïque, et bien que je sois spécialiste d'histoire religieuse au Québec, l'enseignement de la religion dans les écoles était pour moi un dépaysement total. Je n'avais jamais connu cette fusion dans les écoles que j'avais fréquentées. C'était donc une surprise, surtout de voir que cela a duré si longtemps!
Et en tant que femme, je n'ai pas pu m'empêcher de me questionner: aurais-je pu faire des études ici, au-delà du primaire? Quand on voit les collèges classiques de filles en petit nombre, à peine subventionnés, alors que les collèges de garçons recevaient énormément d'argent de l'État, je ne pense pas, si je prends mes origines familiales. Je ne serais pas devenue professeure d'université.
On a tendance à critiquer les réformes de la Révolution tranquille, mais la démocratisation du système scolaire, même si elle a eu ses ratées et qu'elle en a encore, a joué un rôle dans l'éducation des filles. C'est documenté: le cégep a été essentiel pour leur accès à l'université et leur formation professionnelle.
La professeure Caulier a codirigé ce projet avec Andrée Dufour, historienne de l'éducation et membre du CIEQ, et jusqu'en 2016, avec Thérèse Hamel, qui a enseigné au Département des fondements et pratiques en éducation de l'Université Laval.