De nombreux parents pourraient en témoigner: il suffit de donner une feuille et des crayons de couleur à un enfant d'âge préscolaire pour qu'il laisse aller son imagination et exprime toute sa créativité. Et si le dessin pouvait servir à suivre l'évolution des capacités langagières et syntaxiques des jeunes concernés par une perte auditive? C'est la question derrière un projet de maîtrise en psychopédagogie effectué par Sandrine Cantin, enseignante en arts plastiques à l'École oraliste de Québec.
«Dans ma pratique d'enseignante, je travaille auprès d'enfants ayant une perte d'audition et des difficultés langagières. Mon but, avec cette recherche, était de trouver des interventions qui pourraient être porteuses pour le développement global des enfants», explique celle dont le mémoire a été encadré par la professeure Hélène Makdissi de la Faculté des sciences de l'éducation.
Dans ce projet, Sandrine Cantin a donné carte blanche à trois de ses élèves pour créer un grand livre d'histoires. Une fois leur dessin terminé, ces enfants étaient invitées à raconter de vive voix le récit qu'elles avaient mis en images. Le choix des couleurs, les thèmes abordés, la syntaxe et la complexité narrative de leur histoire font partie des nombreux éléments analysés par l'étudiante.
Les enfants ont été rencontrées une première fois en 2018 alors qu'elles étaient âgées de 5 ans. L'expérience a été répétée en 2019 alors qu'elles étaient inscrites en première année du primaire. Ces séances, qui étaient filmées, ont permis de suivre l'évolution de leur processus de création, mais aussi de leur développement langagier. «L'étude de cas longitudinale me permettait de creuser davantage le sujet qu'avec une recherche sur une courte période avec un grand échantillonnage. Le chercheur qui rencontre 2000 enfants pendant 15 minutes chacun n'a pas le même rapport avec eux. Les liens déjà très forts que j'avais avec mes élèves me permettaient d'accéder à leur réel niveau de langage et interpréter leurs propos», dit l'enseignante, qui a fait appel à différentes grilles d'analyse et théories en psychopédagogie.
Ce croisement des données a permis de constater une relation entre les dessins et les avancées en matière de langage. «La syntaxe des premières histoires était peu élaborée, avec des phrases simples comprenant un seul verbe fléchi. Un an plus tard, ça s'est amélioré pour les trois enfants. Au niveau de la structure des récits, les histoires du premier épisode étaient très courtes avec peu d'éléments déclencheurs pouvant contribuer à la quête des personnages. Encore une fois, chacune des élèves a beaucoup évolué sur ce plan», affirme Sandrine Cantin.
Quand vivre avec une perte auditive devient une force
Son projet de recherche ayant permis de cibler des stratégies d'intervention efficaces, Sandrine Cantin espère voir davantage de collègues enseignants utiliser le dessin narratif auprès d'enfants ayant des enjeux sur le plan auditif ou langagier.
Elle rappelle que la perte d'audition, chaque année au Québec, touche environ 1350 élèves, dont la majorité n'est pas inscrite dans une école spécialisée. Pour les enfants ayant une déficience langagière, le chiffre se situe entre 11 000 et 12 300, dont près de 4700 en classes ordinaires. «Souvent, les enseignants ne savent pas trop où commencer ni quoi faire pour aider ces enfants dont les difficultés peuvent passer inaperçues, d'où l'importance qu'ils soient mieux outillés.»
Véritable passionnée par son métier, Sandrine Cantin est bien placée pour comprendre la réalité des jeunes qu'elle côtoie, elle-même ayant dû conjuguer avec une perte auditive de l'oreille droite. «Ma dernière chirurgie remonte à 2014. Je suis chanceuse; une seule de mes deux oreilles est atteinte, tandis que d'autres vivent des difficultés beaucoup plus grandes. Je me suis dit que je pouvais jouer un rôle. Pour moi, le fait d'avoir une perte d'audition est devenu une expérience positive, une force et non une faiblesse. Enseigner à ces enfants m'apporte une richesse», conclut-elle.
Quarante bougies pour l'implant cochléaire
Événement historique qui a marqué un tournant pour les personnes rencontrant des difficultés d'audition, la première pose d'un implant cochléaire au Canada a été réalisée il y a 40 ans par un professeur agrégé de clinique à l'Université Laval, Pierre Ferron.
Sommité dans son domaine, le Dr Ferron a reçu au fil de sa carrière plusieurs récompenses, dont le titre de chevalier de l'Ordre national du Québec.