Les bryophytes forment une bonne partie des espèces qui risquent de se retrouver sous vos semelles lorsque vous mettez le pied dans un milieu naturel. Même si elles sont dépourvues de véritables feuilles, racines et système vasculaire, ces minuscules plantes ont patiemment conquis tous les écosystèmes de la planète, sauf les milieux marins, au point où, si l'on en faisait un tapis continu, elles couvriraient environ 6,4% de la superficie terrestre, soit l'équivalent de la Chine.
Officiellement, les bryophytes regroupent quelque 20 000 espèces – 12 000 mousses, 7500 hépatiques et 300 anthocérotes –, mais ce nombre risque fort d'être une sous-estimation de la réalité parce que l'on connaît encore mal ces plantes lilliputiennes dont l'importance écologique est pourtant si grande, notamment pour la captation du carbone. L'une des raisons à cela est que ces espèces sont souvent difficiles à identifier et à distinguer sur la base de leurs caractères morphologiques.
Une équipe internationale de 30 chercheurs, codirigée par Juan Carlos Villarreal, professeur au Département de biologie et conservateur de l'Herbier Louis-Marie de l'Université Laval, et Bernard Goffinet, de l'Université du Connecticut, a entrepris de dresser un portrait plus fiable de l'arbre généalogique des bryophytes. Pour ce faire, les chercheurs ont séquencé 405 régions du génome, situées dans 228 gènes, chez 531 espèces couvrant toutes les ramifications de l'arbre généalogique des bryophytes.
Le fruit de leur travail, qui vient de faire l'objet d'une publication dans l'American Journal of Botany, constitue «la phylogénie plus complète des bryophytes à ce jour», estime le professeur Villarreal. «Nos observations résument quelque 450 millions d'années d'évolution dans ce groupe végétal. Elles nous ont conduits à créer 10 nouveaux ordres de mousses et 3 nouveaux ordres d'hépatiques. Nous avons aussi réactivé 5 ordres d'hépatiques qui avaient été rayés au terme d'une révision antérieure reposant sur des caractères morphologiques.»
Les analyses des chercheurs ont également permis de dater les moments de divergence entre des espèces de bryophytes apparentées. «Les bryophytes sont apparues sur Terre il y a de cela 450 millions à 500 millions d'années. Par contre, c'est à partir de 250 millions d'années avant aujourd'hui qu'elles se sont véritablement diversifiées et qu'elles ont prospéré pour en arriver à s'installer dans tous les biomes, hormis les milieux marins. La diversité actuelle des bryophytes était déjà en place à la fin du Crétacé, il y a environ 70 millions d'années», signale le professeur Villarreal.
Redessiner l'arbre généalogique des bryophytes peut constituer, aux yeux de certains, un exercice théorique sans portée pratique tangible. «Ce n'est pas le cas, insiste Juan Carlos Villarreal. Pour bien connaître le monde dans lequel on vit et pour dresser un inventaire complet et fiable des espèces qui constituent le patrimoine naturel commun de l'humanité, il faut d'abord être en mesure de reconnaître correctement chaque espèce et de la nommer. Par la suite, il est possible de l'étudier pour en connaître les fonctions dans les écosystèmes. L'utilité écologique d'une espèce peut avoir des répercussions économiques parce que tout est lié, tout est connecté.»