L'avenir du cacaoyer, l'arbre dont on tire le cacao servant à la fabrication du chocolat, n'est pas encore précaire, mais il est temps de coordonner les efforts pour assurer la conservation de la diversité génétique de cette espèce. Et les quelque 6 millions d'agriculteurs qui produisent du cacao à travers la planète devraient être au cœur de cette stratégie.
C'est la position que soutiennent l'étudiante-chercheuse Andréanne Lavoie et le professeur Alain Olivier, du Département de phytologie et du Groupe interdisciplinaire de recherche en agroforesterie de l'Université Laval, et Evert Thomas, de l'Alliance Bioversity International et du Centre international d'agriculture tropicale, dans un article publié par la revue Frontiers in Ecology and Evolution.
Rappelons que l'industrie du chocolat repose sur le cacao, un produit tiré des fèves fermentées et séchées d'un arbre originaire des forêts amazoniennes, le cacaoyer. Cette espèce, dont le nom latin Theobroma cacao signifie «nourriture des dieux», a été domestiquée il y a au moins 5300 ans. «Toutes les variétés naturelles et tous les cultivars de cacaoyer cultivés en Amérique, en Afrique et en Asie sont issus de cette espèce», souligne Andréanne Lavoie, qui consacre son doctorat à la conservation de la diversité bioculturelle de cet arbre.
En 2020, la production mondiale de fèves de cacao a atteint 5,8 millions de tonnes dans le monde. «Un peu plus de 90% de cette production est le résultat du travail d'agriculteurs sur petites surfaces – de 2 à 4 hectares –, qui en tirent des revenus souvent modestes, poursuit la doctorante. C'est paradoxal considérant le chiffre d'affaires annuel de l'industrie du chocolat, qui dépasse les 100 milliards de dollars.»
Tout comme pour le café, il existe des variétés et des cultivars de cacaoyers qui ont leur saveur et leur arôme distinctifs. La classification de ces variétés évolue au rythme des découvertes de nouvelles populations de cacaoyers, mais traditionnellement, on reconnaissait trois grands groupes dont le plus important, le Forastero, représente entre 80% et 90% de la production mondiale.
«Plus on intensifie les systèmes de production et plus on cultive un nombre limité de variétés, plus les productions de cacao deviennent vulnérables, rappelle Andréanne Lavoie. Il est important de conserver le plus de diversité génétique possible afin de pouvoir améliorer la quantité et la qualité de la production, mais aussi pour assurer une plus grande résilience face aux maladies, aux insectes ravageurs et aux variations entraînées par les changements climatiques.»
La conservation de la diversité génétique du cacaoyer pose de nombreux défis, poursuit-elle. «Ses graines germent rapidement alors on peut difficilement les conserver dans des banques de semences. Pour cette raison, on a surtout misé sur les collections d'arbres. Il s'agit de mettre en culture, dans des vergers, de nombreuses variétés de cacaoyers. C'est une approche intéressante, mais elle exige des ressources à long terme, en plus d'être risquée parce que les collections ne sont pas à l'abri des maladies, des insectes, des éléments et des conflits.»
Une autre approche consiste à conserver indirectement des variétés de cacaoyers en milieu naturel en créant des aires protégées. «C'est une stratégie qui présente l'avantage de protéger des variétés connues, mais aussi des variétés indigènes qui n'ont pas encore été découvertes dans les forêts amazoniennes. Cependant, les coûts sont très élevés et la création de ces aires est soumise aux aléas de la politique et de l'économie ainsi qu'aux pressions de changement dans l'utilisation des terres.»
Les deux approches précédentes ont de nombreux mérites, mais le succès d'une stratégie globale de préservation de la diversité génétique du cacaoyer passe également par la conservation à la ferme, estime Andréanne Lavoie. «Le potentiel de conservation de toutes les fermes de cacaoyer du monde est énorme. Il faut aider les agriculteurs à maintenir la diversité de cacaoyers qui existe sur leur ferme. Certains le font déjà, par tradition, pour conserver un héritage laissé par les générations antérieures. Ils méritent tout notre respect parce qu'en participant ainsi au maintien de la diversité génétique du cacaoyer, ils contribuent à la sauvegarde d'un patrimoine génétique végétal dont profite toute l'humanité.»