
Chez l'éléphant d'Afrique, les femelles sont moins souvent impliquées que les mâles dans des conflits d'usage avec les humains. La présence de petits les incite à être plus prudentes.
— Gorgo
L'augmentation récente de certaines populations d'éléphants a eu un corolaire moins heureux: elle a multiplié les interactions entre les éléphants et les humains, et certaines sont clairement hostiles. Par exemple, en Inde, entre 2014 et 2022, près de 4000 personnes auraient perdu la vie à la suite d'attaques d'éléphants.
«Même dans les parcs naturels où ils sont protégés, les éléphants sont en compétition avec les humains pour l'usage des terres, de la nourriture et de l'eau. Il est impossible de prévenir totalement ces conflits d'usage, mais on peut les ramener à un niveau tolérable grâce à des interventions basées sur des modèles permettant de prévoir l'utilisation de l'habitat par les éléphants», croit le spécialiste en aménagement et en conservation de la faune, Daniel Fortin, professeur au Département de biologie de l'Université Laval et chercheur au Centre d'étude de la forêt.
Pour y arriver, il faut toutefois que les aménagistes disposent d'outils fiables. «Aucune étude n'avait encore comparé l'utilisation de l'habitat par les mâles et les femelles de l'éléphant d'Afrique dans un contexte d'augmentation de la population. Il nous semblait que c'était un élément important dont il fallait tenir compter pour mieux prédire où et quand il risque d'y avoir davantage de conflits entre éléphants et humains», explique Daniel Fortin.
Le professeur Fortin, son collègue Stéphane Boudreau et l'étudiante-chercheuse Audrey-Jade Bérubé, de l'Université Laval, Adrian Shrader, de l'Université de Pretoria, et David Ward, de l'Université Kent State, ont corrigé cette lacune en analysant les déplacements, sur une période de 11 ans, de 16 éléphants, dont 9 femelles, munis de collier GPS.
«L'étude s'est déroulée dans une réserve d'Afrique du Sud, l'Ithala Game Reserve, précise le professeur Fortin. Entre 1990 et 1993, 50 éléphants ont été réintroduits dans cette réserve de 297 km2. Il y en a maintenant plus de 190, alors que la capacité de support de la réserve est d'environ 120 éléphants. La compétition entre éléphants augmente à mesure que la population croît et que l'abondance de nourriture diminue.»

Lorsque leurs effectifs augmentent, les éléphants se tournent vers des habitats autres que les forêts et les forêts ouvertes, et ils se déplacent davantage, surtout les mâles. On les retrouve souvent à proximité des routes.
— Bernard Dupont
Le résultat des analyses, qui vient de paraître dans la revue Biological Conservation, montre qu'à mesure que la population augmente, les éléphants se retrouvent plus fréquemment dans des habitats autres que les forêts et les forêts ouvertes. Ils se déplacent davantage et on les retrouve souvent sur les routes et à proximité des installations humaines. «Ces comportements s'expriment davantage chez les mâles que chez les femelles. Ces dernières sont souvent accompagnées par des jeunes et elles prennent moins de risques que les mâles.»

Les structures avec toit de paille abritent des ruches qui sont reliées à un câble. Lorsque les éléphants entrent en contact avec ce câble, les ruches sont secouées et les abeilles réagissent en s'en prenant aux éléphants, les empêchant de se rendre aux champs en culture.
— Daniel Fortin
Chez l'éléphant d'Afrique, les mâles adultes pèsent en moyenne 6,5 tonnes et ils peuvent consommer jusqu'à 150 kg de végétation par jour. «Quand des éléphants débarquent dans un champ de maïs, de sorgho ou de canne à sucre, ils peuvent causer beaucoup de dommages. Différentes méthodes sont présentement testées pour éloigner les éléphants des champs cultivés. Ces interventions pourraient être appliquées plus efficacement si on savait où et quand les éléphants risquent d'utiliser ces champs. En suivant des mâles munis d'un collier GPS, on pourrait appliquer ces interventions de façon ciblée et diriger les éléphants vers des secteurs aménagés où ils trouveraient de quoi se nourrir sans causer de dommages aux cultures. Cela éviterait d'avoir à les abattre.»