L’île Sainte-Croix, située entre le Maine et le sud-ouest du Nouveau-Brunswick, a été le lieu d’une tentative d’établissement permanent par les Français en Amérique du Nord, en 1604. Le fort Frontenac, quant à lui, a été construit en 1673 comme un avant-poste sur le lac Ontario à l’emplacement de l’actuelle ville de Kingston. Enfin, la Nouvelle-Orléans, en Louisiane, a été fondée en 1718 par Jean-Baptiste Le Moyne, sieur de Bienville, et des colons français.
Ce sont là quelques-uns des 70 lieux répertoriés par le professeur associé du Département des sciences géomatiques de l’Université Laval, Rock Santerre, dans une carte-récit intitulée Recueil de plans d'arpentage d'Amérique du Nord française, qu’il vient de faire paraître. Chacun des lieux est illustré par un plan d’arpentage réalisé au 17e ou au 18e siècle, la plupart du temps par des architectes et arpenteurs. Globalement, cette carte-récit montre l’occupation à l’époque du territoire nord-américain par les Français venus d’Europe et ceux nés en Nouvelle-France.
«J’ai réalisé cette carte-récit à l’aide d’un outil SIG créé par la compagnie Esri et que la Bibliothèque de l’Université exploite sous licence, explique-t-il. À partir d’une image satellitaire actuelle, cet outil de géolocalisation permet par zoom avant de voir les vestiges de forts ou de villages, de visiter les lieux en quelque sorte. Chaque fiche comprend le plan d’arpentage de l’époque, la photo d’une plaque commémorative et souvent d’une statue, et une image panoramique Google Street View.»
L’expansion et l’occupation française en Amérique du Nord fut une grande aventure dont témoigne la carte-récit. De 1534 à 1759, les explorateurs, les coureurs des bois, les militaires, les missionnaires et les arpenteurs français et canadiens ont sillonné le continent. Plus de 150 forts ont vu le jour au cours de cette longue période et de nombreux villages et villes, fondés à l’époque, existent toujours aujourd’hui.
«La Nouvelle-Angleterre, soit les 13 colonies anglaises établies sur la côte est des États-Unis, n’est pas couverte, indique le professeur. Mais tout le reste, la vallée du Mississippi, l’Ohio, les Grands Lacs et autres, l’est. La carte-récit couvre huit provinces canadiennes actuelles et une vingtaine d’États américains. La construction du fort Pierre au Dakota du Sud en 1743 et celle du fort À la Corne en 1753 en Saskatchewan sont des exemples de cette expansion.»
Sur les hauteurs de Cap-Rouge
La carte-récit de Rock Santerre débute par le site de Charlesbourg-Royal, sur les hauteurs de Cap-Rouge, près de Québec. Cet embryon de colonie française en Amérique du Nord fut fondé par Jacques Cartier en 1541. Deux forts furent construits et un certain nombre de colons s’y établirent. Le village fut abandonné peu après, mais un autre groupe y débarqua en 1542 pour une expérience qui ne dura que quelques mois.
L’un des plans d’arpentage préférés du professeur est celui du fort Frontenac. Ce plan en couleurs a pour nom Fort de Frontenac ou Katarakouy. Construit sur une presqu’île, cet ouvrage fortifié comprend plusieurs bâtiments à l’intérieur. À l’extérieur, on aperçoit l’étable et la grange, ainsi que le four à chaux, représentés à une certaine distance. Dans le fort, le plus grand bâtiment est le logis. Le reste de l’espace est occupé par le corps de garde, le magasin à poudre, la boulangerie, le moulin et le puits.
«C’est un des trois plans que Jean Deshayes a réalisés à l’automne 1685, avec ceux de Trois-Rivières et de Montréal, dit-il. Jean Deshayes est l’un des grands scientifiques ayant habité en Nouvelle-France. Il était mathématicien, astronome, géodésien, hydrographe et arpenteur.»
Plusieurs des plans d’arpentage choisis par Rock Santerre sont en noir et blanc. C’est notamment le cas de l’île Sainte-Croix dessinée par l’explorateur et cartographe Samuel de Champlain en 1613. Son image de l'endroit reproduit, entre autres et de façon schématique, une habitation, des jardins potagers, un cimetière, une chapelle et «le lieu où le sieur de Mons avait fait commencer un moulin à eau», comme l’écrit de Champlain. Il mentionne également une «grande montagne fort haute dans la terre». Deux grands voiliers, dont un qui tire du canon, ainsi qu’une baleine qui expulse l’air chaud contenu dans ses poumons agrémentent l’image.
«Les plans d’arpentage en couleurs de l’époque étaient des dessins uniques tandis que ceux en noir et blanc étaient gravés, donc publiés en plusieurs copies», explique-t-il.
Les plans proviennent pour l’essentiel des Archives nationales d’outre-mer (France), de la Bibliothèque nationale de France, de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, de Bibliothèque et Archives Canada et de l’US Library of Congress.
«La Carte de l’Amérique Septentrionale de Jean-Baptiste-Louis Franquelin, hydrographe du roi, ouvre mon recueil, poursuit-il. Ce plan provient de la Bibliothèque du Congrès, à Washington. Il a été réalisé en 1688 à Québec. Franquelin avait la réputation d’être le cartographe le plus talentueux et le meilleur dessinateur. Souvent, une image vaut mille mots. Je dirais ici qu’une carte vaut un million de mots!»
Un médaillon sur ce document est consacré à la ville de Québec. «On voit bien le château Saint-Louis sur le cap Diamant, souligne-t-il. Les clochers sont par contre un peu plus hauts que dans la réalité. On voit que la connaissance du territoire était grande pour l’époque. Surtout considérant le peu de moyens techniques dont ils disposaient. Il fallait avoir du courage pour se déplacer sur d’aussi grandes distances. C’étaient de vrais explorateurs.»