En 2018, Manuel Rosa-Calatrava, de l'Université Claude Bernard Lyon 1, et Guy Boivin, de l'Université Laval, déposaient une demande de brevet pour le moins surprenante. Ces chercheurs proposaient de traiter la grippe à l'aide de deux médicaments prescrits pour des problèmes cardiaques chez l'humain – l'étiléfrine, un stimulant cardiaque, et le diltiazem, un produit prescrit contre l'hypertension et l'angine de poitrine. En effet, les travaux menés par cette équipe franco-québécoise laissaient présager que ces médicaments pouvaient être efficaces contre l'influenza.
Voilà le genre de résultats inattendus et prometteurs qui émergent de la collaboration amorcée il y a plus d'une décennie entre ces deux chercheurs. Grâce à la création du Laboratoire international associé RespiVir, qui officialise cette coopération transatlantique, d'autres repositionnements de médicaments du genre pourraient venir garnir l'arsenal limité dont dispose la médecine pour traiter les infections respiratoires. Et ils seront les bienvenus.
Il y a maintenant une trentaine d'années que Guy Boivin travaille comme infectiologue clinicien au CHU de Québec. «Même s'il y a eu des avancées au cours des dernières années, il existe encore très peu de médicaments pour lutter contre les virus qui causent des maladies respiratoires chez l'humain. Nous ne sommes pas très bien outillés contre ces infections», constate-t-il.
Lorsque des personnes qui ne présentent pas de facteurs de risques particuliers sont infectées par un virus respiratoire, le mieux que la médecine puisse offrir se résume encore à «gardez le lit et buvez beaucoup de liquide», en attendant que le système immunitaire prenne le dessus. Pour les patients à risque qui sont gravement atteints, quelques médicaments sont utilisés parcimonieusement pour éviter l'apparition de souches virales résistantes.
Il y a plusieurs raisons qui expliquent cette paucité de moyens, mais la première tient à la biologie même des virus. «Au sens strict du terme, les virus ne sont pas des organismes vivants parce qu'ils doivent utiliser la machinerie cellulaire de leurs hôtes pour se reproduire, rappelle le professeur Boivin. Le résultat est qu'ils possèdent peu de protéines qui leur sont exclusives et qui peuvent être ciblées par des médicaments, sans causer de dommages aux cellules humaines.»
En général, créer un nouveau médicament et franchir les étapes menant à sa commercialisation exige une dizaine d'années. Les professeurs Rosa-Calatrava et Boivin croient qu'il y a moyen de faire mieux en recourant au repositionnement de médicaments existants. «Nous proposons de trouver de nouvelles applications à des médicaments dont l'usage est déjà approuvé», résume Guy Boivin.
Pour ce faire, les chercheurs font appel à des cultures de cellules épithéliales du système respiratoire humain. «Nous les infectons avec un virus et nous faisons la liste des gènes dont l'expression est augmentée ou diminuée par l'infection, explique le professeur Boivin. Par la suite, nous consultons une base de données qui décrit les effets connus de différents médicaments sur l'expression des gènes humains. Nous tentons de repérer ceux dont la signature cellulaire est à l'opposé de la signature du virus. Nous testons ensuite les médicaments candidats contre le virus in vitro, puis chez des animaux et enfin chez l'humain.»
Jusqu'à maintenant, cette approche leur a permis de repérer des médicaments candidats qui montrent un potentiel contre l'influenza, le virus respiratoire syncytial (qui tue 60 000 enfants dans le monde chaque année), le métapneumovirus humain et le SARS-CoV-2. «La pandémie nous a forcés à mettre ces recherches de côté pendant deux ans, mais nous allons réactiver les travaux», commente le professeur Boivin.
Dans les deux prochaines années, quelques traitements et vaccins contre les infections respiratoires virales devraient venir s'ajouter au maigre arsenal dont disposent les médecins-infectiologues comme Guy Boivin. Parmi ces armes prometteuses, il faut compter un médicament repositionné contre la COVID-19 et un premier vaccin contre les bronchiolites, tous deux issus des recherches menées par l'équipe du LIA RespiVir. «Les choses progressent lentement, mais je ne perds pas espoir, dit-il. S'il y a une chose que la pandémie de COVID-19 nous a apprise, c'est que lorsque les chercheurs et les autorités réglementaires se mobilisent, on peut faire de grands progrès très rapidement.»